Sunday, September 14, 2014

La franc-maçonnerie, de Poncins, Guénon et Evola

Léon de Poncins, l'ennemi des sociétés secrètes mondialistes, était-il disciple de René Guénon et de Julius Evola ?


« Descendant d'une famille de parlementaires anoblis en 1696 le vicomte (de Montaigne) de Poncins (1897-1976) était un fervent catholique qui connut un certain succès dans les années 1930 (plusieurs de ses ouvrages furent traduits notamment en anglais, en italien et en espagnol). Léon de Poncins explique la plupart des grands bouleversements politiques et révolutionnaires de la modernité par l'action de courants issus de certaines sociétés secrètes porteuses d'une "foi" opposée à celle du Christianisme : il vise notamment des mouvements révolutionnaires, juifs, sionistes ou autres, ainsi qu'une "guerre secrète" dirigée par une "foi" de nature diabolique. »

Wikipédia



« Les Éditions Pardes ont publié en 1987, écrit Jean Vaquié, sous le titre Ecrits sur la Franc-Maçonnerie, un recueil contenant huit articles de Julius Evola. Ces huit articles sont de parution ancienne puisqu'ils s'échelonnent entre 1937 et 1942. Selon la présentation qui en est faite au dos de la couverture, ils «ne relèvent ni de l'apologie, ni du dénigrement systématique... ils se veulent une contribution à l'étude d'un domaine initiatique».

Le recueil ainsi constitué contient plusieurs appendices dont l'un s'intitule « Léon de Poncins, un Contre-Révolutionnaire Intégral ». C'est ce travail qui va retenir notre attention. Cet exposé, d'ailleurs très dense et renseigné avec soin, se termine ainsi :

« Au terme de cette trop brève étude sur Léon de Poncins, nous avons le sentiment que les éléments réunis ici sont suffisants pour déplaire, sinon à tous, du moins à beaucoup. Les intégristes n'apprécieront pas que nous ayons exhumé des textes d'un de leurs auteurs de prédilection (officiellement, en tous cas) où il est très favorablement question de Guénon. Ces textes, nous ne les avons pourtant pas inventés, et il suffit d'aller les consulter là où c'est possible, dans les bibliothèques.

« Seul Tempête sur le Monde (l'un des tous premiers livres de L. de P.) a été utilisé ici, mais le lecteur intéressé pourra facilement trouver d'autres livres de Léon de Poncins où abondent les références à Guénon. Dérangeant pour certains, un rappel de ce type montre en fait que, derrière l'inévitable étroitesse ou insuffisance des travaux d'un archiviste ou d'un documentaliste de la subversion il y avait un homme possédant une solide formation doctrinale, capable de prendre du recul par rapport à l'événement et de
regarder loin ».

Cet homme « possédant une solide formation doctrinale et capable de regarder loin », c'est Léon de Poncins. Tout l'ensemble du chapitre nous le présente comme "regardant loin" parce qu'il n'a pas craint de puiser sa doctrine "contre-révolutionnaire intégrale" à la source des écrits de Guénon dont il a su prévoir le grand retentissement. Bref on nous en fait un disciple de Guénon. Mais aussi un disciple d'Evola auquel il eut également recours et qu'il cite longuement.

Il y a là une erreur d'appréciation que nous voudrions corriger. Et si nos amis de Chiré m'ont demandé de rédiger une note rectificative, c'est parce que j'ai moi-même fréquenté Léon de Poncins pendant de nombreuses années, travaillant avec lui sur les mêmes sujets. Je connais donc bien son jugement sur R. Guénon et sur J. Evola. Et je dois dire tout de suite qu'il aurait été très désagréablement surpris à la lecture de l'appendice qui termine le recueil que nous venons de désigner. Et il n'aurait pas manqué, j'en suis certain, de rédiger lui-même une "note rectificative", qui aurait peut-être été plus complète mais qui n'aurait pas été substantiellement différente.

Replaçons-nous donc par la pensée dans les conditions où se trouvaient les intellectuels "nationaux" et catholiques pendant la période qui est délimitée approximativement par les dates de parution des articles de J. Evola qui font l'objet du recueil des Editions Pardès, c'est-à-dire de 1937 à 1942. La doctrine de R. Guénon possède, comme toutes les doctrines fortement homogènes et très élaborées, une partie critique et une partie constructive. Ce penseur, comme bien d'autres, s'élève contre une certaine forme de la société avant de proposer un système de remplacement. On avait vu de même, au XIXe siècle, Karl Marx procéder à la critique du capitalisme avant d'édifier le système collectiviste destiné, dans son esprit, à le remplacer.

La Critique que R. Guénon adresse au monde moderne est double. Il lui fait deux procès distincts. Le premier vise le matérialisme de la société contemporaine. Le second a pour objectif une certaine forme de spiritualisme dont elle s'imprègne rapidement. Reprenons séparément ces deux griefs en essayant de définir leurs fondements bphilosophiques dans la doctrine guénonienne.

R. Guénon reproche au monde moderne son matérialisme et sa désacralisation. Et il les explique ainsi. Il écrit que le monde moderne est le siège d'une véritable solidification. D'où provient cette solidification? Si le monde se solidifie c'est parce qu'il est parvenu à la fin d'un cycle cosmique. Au début de chaque cycle l'univers apparaît dans un état à prédominance spirituelle et sacrale. Puis il va en se dégradant, c'est-à-dire en se déspiritualisant et donc en se matérialisant. De sorte qu'à la fin du cycle, quand arrive l'âge final appelé âge sombre l'univers est dans un état de matérialisation irréversible. Tel est précisément le stade qui est atteint par notre monde moderne. Il est voisin de la solidification. C'est la désacralisation matérialiste qui y prédomine, d'où son hyper-technicité, son mercantilisme et son collectivisme massifiant. Tels sont les grands traits de la construction guénonienne en ce qui concerne la critique du monde moderne.

En même temps qu'il s'élève contre le matérialisme, R. Guénon fait le procès d'une certaine forme de spiritualisme. Il a en vue un faux spiritualisme qui se présente sous deux formes : la théosophie et le spiritisme, lesquels font l'objet de deux ouvrages différents : Le Théosophisme, Histoire d'une Pseudo-Religion (1921) et L'Erreur Spirite (1923). Ces deux ouvrages figurant parmi ses tout premiers livres. C'est par eux que le public catholique a commencé à connaître Guénon.

R. Guénon explique que ces deux faux spiritualismes en pleine expansion sont de faux antidotes au matérialisme moderne. Ils ne sont que des caricatures du vrai spiritualisme que lui-même se propose d'exposer longuement dans ses travaux ultérieurs. Le "vrai spiritualisme" de René Guénon s'inspire de ce qu'il appelle la "Grande Tradition Universelle et Primordiale" dont nous verrons plus loin quelle est la véritable valeur. On comprend très bien de la part de Guénon, cette critique préalable. Elle était destinée à faire place nette. Il était nécessaire en effet qu'avant de répandre son propre système spiritualiste, Guénon règle leurs comptes aux deux faux spiritualismes qui constituaient ses deux principaux concurrents à savoir la théosophie et le spiritisme. Et il faut reconnaître que son éreintement fut magistral. Il les a fait taire pour de nombreuses années. Devant cette critique du monde moderne dans son matérialisme et dans les
faux spiritualismes, les nationaux, et parmi eux les catholiques, furent très admiratifs. Pouvait-on souhaiter un auxiliaire plus avantageux que l'auteur de ces deux livres magistraux ? Voilà un homme qui s'attaque simultanément à la dégénérescence matérialiste et à l'invasion de l'occultisme hindouisant lesquelles constituent précisément leurs deux adversaires les plus redoutables. Et cette attaque, il la fonde sur "la Tradition", ce qui n'était pas non plus pour leur déplaire, si du moins ils n'étaient pas trop regardants quant à la définition de cette tradition. Le mot de "tradition" en effet exerçait déjà, sur les nationaux et les catholiques, son effet de prestige et d'autorité. Effet psychologique vague mais puissant qui reste encore actuel et que nous connaissons bien.

Il faut reconnaître que, si les écrivains catholiques et leurs conseillers théologiques de l'époque avaient étudié avec plus de soin les fondements de la fameuse "tradition universelle" au nom de laquelle Guénon prononçait son réquisitoire contre le matérialisme et contre les pseudo-spiritualismes", ils auraient constaté que cette prétendue tradition n'était pas autre chose que le védantisme, lequel diffère essentiellement de la Tradition apostolique dont l'Eglise est "gardienne et maîtresse" (custos et magistra) et qu'eux-mêmes étaient censés défendre.

On voit que les positions relatives des doctrines en présence étaient assez mal définies. Cette imprécision générale était due au fait que Guénon, finalement, avançait masqué. Il avait ouvertement fait la critique du monde moderne, mais on ne connaissait la partie positive de ses doctrines que par des ouvrages assez énigmatiques et d'accès difficile qui étaient lus seulement par ceux que l'on appelait alors les occultistes et qui allaient devenir, après la guerre de 39-45, les "ésotérites".

Quoiqu'il en soit de ces incertitudes, ce qui est sûr c'est que L. de Poncins n'a utilisé que la partie critique de l'œuvre guénonienne. Il est facile de constater qu'il ne lui a emprunté que ses griefs contre le monde moderne. Griefs que Guénon avait en commun avec les nationaux et les catholiques, et qu'il exprimait seulement d'une manière un peu différente. Jamais Poncins n'a rien puisé dans la construction hindouiste ou islamique de Guénon, dans ses développements ésotériques et gnostiques bien qu'ils constituent la part la plus importante et la plus essentielle de son œuvre. On peut affirmer que L. de Poncins a ignoré le guénonisme.

Il est un point de doctrine tout à fait capital qui permet de constater la pleine liberté et l'indépendance d'esprit que L. de Poncins a conservé à l'égard de Guénon. C'est le jugement porté, par l'un et par l'autre des deux hommes, sur la maçonnerie spiritualiste. Comment cette question se pose-t-elle ? Voyons d'abord le point de vue de Guénon et ses fondements philosophiques ou plutôt historiques.

La thèse de Guénon était celle-ci. Il acceptait la distinction que les maçons établissent eux-mêmes entre, d'une part les loges rationalistes et athées et d'autre part les loges spiritualistes. C'est une distinction tout à fait classique dans la maçonnerie. Mais Guénon considère que la filière initiatique est irréprochable dans l'une et l'autre maçonneries. Dans les deux cas l'initiation, qui est conférée, présente les indispensables caractères d'archaïsme. Dans les deux branches, l'origine de l'initiation se perd dans la nuit des temps, donc elle est de fondation "non-humaine". Par conséquent, pour Guénon, dès lors que la loge est "régulière" et que les rites sont rigoureusement respectés, l'initiation maçonnique est authentique et il n'y a pas lieu de distinguer entre maçonnerie rationaliste et maçonnerie spiritualiste.

D'après Guénon, ce qui est répréhensible, dans les loges rationalistes et athées, ce n'est pas l'initiation, c'est l'enseignement doctrinal. On y impose une orientation de type encyclopédique, révolutionnaire, scientiste et matérialiste. C'est cela qui est mauvais, très mauvais même car les loges rationalistes, qui ne reconnaissent pas de Dieu, en arrivent à accélérer la "solidification" du monde. Mais la régularité de l'initiation est inattaquable nonobstant les doctrines erronées qui l'accompagnent.

Les loges spiritualistes, au contraire, toujours d'après Guénon, sont irréprochables autant pour leurs doctrines, qui sont de nature religieuse, que pour leur initiation qui est d'origine immémoriale et donc non-humaine. On comprend dès lors que R. Guénon se soit toujours trouvé en accord fondamental avec la maçonnerie spiritualiste. Il en a fait partie et il y a toujours conservé des amis, des défenseurs et même des disciples nombreux.

Ainsi peut-on résumer la doctrine de Guénon concernant la maçonnerie. Mais il est bien évident qu'il s'agit là d'un schéma. La distinction des deux courants philosophiques n'est contestée par personne, dans son principe, mais dans la pratique elle ne se présente pas toujours d'une manière tranchée. Car, du fait de sa tolérance, la maçonnerie abrite des tendances très diverses et très nuancées.

Voyons maintenant le point de vue de Poncins. De même qu'il avait appelé nGuénon à l'aide contre le monde moderne, il aurait pu le citer aussi dans ses développements contre la maçonnerie rationaliste qu'il combattait comme lui. Mais il s'en est bien gardé. Poncins engloba toujours dans la même réprobation les loges athées et les loges théistes dans lesquelles il ne percevait qu'une habile répartition de la clientèle. De fait, contrairement à Guénon, Poncins a toujours été détesté dans l'un et l'autre courants maçonniques. Il a été combattu par la maçonnerie toutes tendances confondues. Et cela essentiellement parce qu'il n'y a jamais été considéré comme un disciple de Guénon si peu que ce soit.

Mais alors pourquoi L. de Poncins, qui vouait aux deux courants maçonniques une détestation égale, n'a-t-il pas combattu la religion gnostique élaborée par les loges spiritualistes avec la même ardeur qu'il mettait à critiquer les doctrines révolutionnaires des loges athées? Pourquoi s'en est-il tenu à dévoiler les menées anti-nationales de la maçonnerie rationaliste et socialiste ? Il y a là une objection que j'ai quelquefois entendu formuler et à laquelle il faut répondre.

Notre "ami était parfaitement conscient de la nécessité du combat dans l'ordre religieux. Il savait très bien que si l'ordre temporel était attaqué, l'ordre spirituel l'était aussi. Et s'il ne s'est pas lancé lui-même expressément dans la défense de l'Église c'est pour deux raisons.

La première vient de ce qu'il avait reçu, de la part de plusieurs ecclésiastiques, le conseil pressant de se tenir à l'écart des discussions religieuses pour lesquelles, lui disait-on, il n'avait ni compétence ni autorité. Il s'abstint donc, réservant son activité aux limites du temporel. A eux seuls les titres de ses livres témoignent de la sectorisation qu'il s'imposa. Citons par exemple La Franc-Maçonnerie contre la France. Il n'a rien écrit sur la maçonnerie contre l'Eglise. L'un de ses premiers livres avait été La S.D.N., Super-Etat Maçonnique. Et jamais il n'a traité le sujet de la maçonnerie comme Super-Eglise. Il laissait au clergé, qui paraissait encore à cette époque bien charpenté et bien décidé, le soin de défendre la cause religieuse. La répartition des tâches semblait logique.

La seconde raison pour laquelle L. de Poncins s'abstint longtemps d'attaquer la maçonnerie sur le terrain spiritualiste et religieux c'est l'existence, à Paris, d'un organe spécialisé : la R.I.S.S (Revue Internationale des Sociétés Secrètes) de Monseigneur Jouin. Poncins entretenait avec lui d'excellents rapports. Mais il était parfaitement conscient qu'une revue, consacrée à la publication de documents maçonniques et occultistes s'exposait en permanence à se laisser circonvenir par des agents de toutes sortes. Je lui ai souvent entendu exprimer quelques réserves de détail. Dans l'ensemble cependant il était très élogieux non seulement pour Mgr Jouin lui-même mais aussi pour la majorité de ses collaborateurs.

Ces deux raisons font qu'il n'éprouva nul besoin de se lancer en personne dans la défense de la vraie Religion, ni contre les attaques directes des rationalistes, ni contre les attaques indirectes des spiritualistes néo-gnostiques. Il fallut la crise conciliaire pour que L. de Poncins abandonne la discipline qu'il s'était imposée. A partir de ce moment, les pressions judéo-maçonniques pour faire dévier l'Eglise devinrent si fortes et la défense de l'orthodoxie par des religieux spécialisés ou non, se révéla si déficiente et même si inexistante qu'il se sentit obligé d'entrer personnellement dans l'arène.

Deux ouvrages témoignent de cet élargissement de son action au domaine religieux de la maçonnerie spiritualiste. Pendant le Concile, il publia et distribua Le Problème des Juifs au Concile. Puis en 1970, aux éditions de l'Ordre Français, il fit paraître un ouvrage très clair et très solide : Christianisme et Franc-Maçonnerie (1970), dont il existe une réédition à la D.P.F. de Chiré en 1975. Livre dans lequel nous recommandons le chapitre VII qui a pour titre « La théologie occulte et l'influence gnostique ». Tout cela aurait-il pu être écrit par un disciple de Guénon ? On voit qu'il aurait été aussi compétent en matière spirituelle qu'il l'avait été en matière temporelle si les deux circonstances que nous venons de relater ne l'avaient arrêté.

Pour nous résumer sur les rapports de Poncins avec Guénon, nous pouvons dire ceci. Avant la guerre de 39-45, pendant les années de lutte de toute la Droite contre les "menées anti-nationales" comme l'on disait alors, L. de Poncins avait fait appel à quelques citations de R. Guénon pour renforcer, par un témoignage extérieur, son argumentation contre le monde moderne. Mais quant à se nourrir de la doctrine guénonienne, il en était très loin. Bien sûr, il lisait ces livres-là quand il en apercevait de nouveaux dans les devantures des librairies, mais il ne les recherchait certes pas. Il les trouvait d'ailleurs parfaitement indigestes et il avait du mal à les finir. Son aversion pour l'auteur allait en grandissant.

Il finit par exploser littéralement à la lecture du Règne de la Quantité et les Signes des Temps. C'était en 1945. Il m'avait demandé de lui prêter mon exemplaire et nous avions convenu que je passerai le reprendre à l'hôtel de la rue Jacob (non loin de la rue des Saints-Pères) où il descendait presque toujours quand il venait à Paris. Il me le rendit avec des commentaires tout ce qu'il y a de plus désapprobateurs. Et il me confia même qu'il était furieux contre Guénon qui finalement, l'avait trompé.

Depuis la lecture de Règne de la Quantité L. de Poncins n'eut plus le moindre doute sur l'affiliation initiatique de R. Guénon puisque son discours différait si peu de celui des maçons spiritualistes.

Demandons-nous maintenant quel type de relations L. de Poncins a bien pu entretenir avec Julius Evola et avec son oeuvre. Ces relations ont suivi le même schéma qu'avec Guénon, malgré une petite différence d'ordre personnel que nous noterons au passage. Pour comprendre les rapports des deux hommes, il faut savoir qu'il existait deux Evola dans le même personnage. Il y avait un Evola exotérique, c'est-à-dire politique et un Evola ésotérique, plein de sousentendus d'ordre religieux.
L'Evola exotérique est l'ami de l'ordre. C'est le contre-révolutionnaire. C'est l'homme politique. Et c'est à lui que L. de Poncins demandait, pour sa revue (Contre-Révolution, Revue Internationale d'Etudes Sociales, Paris.), des articles comme par exemple celui de décembre 1938 : « Technique de la Subversion » ou « Les instruments de la Guerre Occulte », dans lequel il nous décrit l'action de ce qu'il appelle « les forces secrètes de l'anti-tradition », forces secrètes qui ne sont pas autre chose que les loges rationalistes, athées et révolutionnaires. On retrouve la même position que chez Guénon (note de Bouddhanar : selon Guénon, les forces secrètes qui œuvrent à l'avènement de la contre-tradition sont d'une nature beaucoup plus redoutable que de simples idées révolutionnaires, rationalistes, athées...). Même position aussi en ce qui concerne les "faux spiritualismes" que J. Evola décrit dans son livre Masques et Visages du Spiritualisme Contemporain (Editions de l'Homme). Avec cet Evola exotérique, Poncins, incontestablement se plaisait, alors que le personnage de Guénon ne l'a jamais séduit. Et il est tout à fait exact qu'il admirait beaucoup la force de caractère et le stoïcisme d'Evola et qu'il aimait à lui rendre visite à Rome dans la vieille maison paternelle où il était né et où il devait mourir.


Mais il y avait aussi un autre Evola, celui qui cultivait l'ésotérisme graalien, gibelin et aussi bouddhiste, celui qui est devenu l'un des grands doctrinaires de la nouvelle gnose, avec des ouvrages comme Chevaucher le Tigre (à la Colombe), La Métaphysique du sexe (chez Payot), Le Mythe du Graal et l'Idée Impériale Gibeline (Éditions Traditionnel-les), La Tradition Hermétique (également aux Éditions Traditionnelles), Le Yoga Tantrique (chez Fayard), La Doctrine de l'Éveil (chez Arché-Milano).

Cet Evola ésotérique, je puis dire que Poncins a voulu l'ignorer et, à cause de son amitié pour l'homme, il souffrait mal qu'on lui en parle, ce qui prouve qu'il situait très exactement l'œuvre. Il était totalement imperméable à ce genre de raisonnement. C'est une pensée qui lui était tout à fait étrangère. Il ne lui a jamais rien emprunté. Il n'a pas subi son influence. Mais en mesurait-il la nocivité ? Je le crois, car il se fermait dès que l'on commençait à lui parler de l'ésotérisme d'Evola. Finalement, il avait été trompé par lui comme par Guénon, mais il avait mis beaucoup plus longtemps à en prendre conscience.

Nous terminerons cette "note rectificative" par la conclusion suivante. On serait totalement dans l'erreur si l'on prétendait situer Léon de Poncins dans la mouvance de R. Guénon et de J. Evola. Maintenons, car telle est la vérité, qu'il appartient pleinement à l'École du légitimisme classique. »

Jean VAQUIÉ

Notre Dame des Landes & la propriété commune

L'appel à la réoccupation des terres va-t-il se répandre partout ? La nature ne doit plus être détruite pour satisfaire l'avidité de quelques accapareurs du bien commun.

Dans le Baopuzi, un vieux texte chinois, un taoïste évoquant un lointain passé dit :

« Il n'y avait alors ni prince ni vassal ; on creusait des puits pour boire et on labourait la terre pour se nourrir. On réglait sa vie sur le soleil [...] De gloire et d'infamie point. Nuls sentiers ni tranchées ne défiguraient les montagnes. Il n'existait ni barques ni ponts sur les cours d'eau. Les vallées ne communiquaient pas et personne ne songeait à s'emparer de territoires. » Le monde était un paradis où « le phénix se posait dans les cours des maisons et les dragons s'ébattaient en troupeaux dans les parcs et les étangs [...] On pouvait marcher sur la queue des tigres et saisir dans ses mains des boas. Les mouettes ne s'envolaient pas quand on traversait les étangs ; les lièvres et les renards n'étaient pas saisis de frayeur quand on pénétrait dans les forêts. Malheurs et troubles, guerres et épidémies étaient inconnus [...] On bâfrait et on s'esclaffait, on se tapait sur le ventre et on s'ébaudissait ! »

Le taoïsme originel décrit un âge d'or où les hommes formaient une grande famille et constituaient ce que l'on appelle de nos jours une société communiste primitive. L'étude du communisme primitif passionna Rosa Luxemburg.

« Comment expliquer l'intérêt de Rosa Luxemburg pour les communautés primitives ? D'une part, il est évident qu'elle voit dans l'existence de ces sociétés communistes anciennes un moyen d'ébranler et même de détruire « la vieille notion du caractère éternel de la propriété privée et de son existence depuis le commencement du monde . » C'est par incapacité de concevoir la propriété communale et par incompréhension pour tout ce qui ne ressemble pas à la civilisation capitaliste que les économistes bourgeois ont refusé avec obstination de reconnaître le fait historique des communautés. Il s'agit donc, pour Rosa Luxemburg, d'un enjeu du combat théorique et politique sur un aspect essentiel de la science économique. D'autre part, le communisme Primitif est à ses yeux un point de repère historique précieux pour critiquer le capitalisme, pour dévoiler son caractère irrationnel, réifié, anarchique, et pour mettre en évidence l'opposition radicale entre valeur d'usage et valeur d'échange. Comme le souligne à juste titre Ernest Mandel dans sa préface, « l'explication des différences fondamentales entre une économie fondée sur la production de valeurs d'usage, destinée à satisfaire les besoins des producteurs, et une économie fondée sur la production de marchandises, occupe la majeure partie de l'ouvrage. » Il s'agit donc pour elle de trouver et de « sauver », dans le passé primitif, tout ce qui peut, jusqu'à un certain point au moins, préfigurer le socialisme moderne.

L'attitude de Rosa Luxemburg n'est pas sans une certaine affinité avec les conceptions romantiques de l'histoire, qui refusent l'idéologie bourgeoise du progrès, et critiquent les aspects inhumains de la civilisation industrielle/capitaliste (d'où, par ailleurs, son intérêt pour l'œuvre d'un économiste romantique comme Sismondi). Tandis que le romantisme traditionaliste aspire à restaurer un passé idéalisé, le romantisme révolutionnaire dont Rosa Luxemburg est proche cherche dans certaines formes du passé précapitaliste des éléments et des aspects qui anticipent l'avenir post-capitaliste.


Marx et Engels avaient déjà, dans leurs écrits et leur correspondance, attiré l'attention sur les travaux de l'historien (romantique) Georg Ludwig von Maurer sur l'ancienne commune (Mark) germanique. Comme eux, Rosa Luxemburg étudie avec passion les écrits de Maurer et s'émerveille du fonctionnement démocratique et égalitaire de la Marche (Mark) et de sa transparence sociale : « On ne peut imaginer rien de plus simple et de plus harmonieux que ce système économique des anciennes Marches germaniques. Tout le mécanisme de la vie sociale est comme à ciel ouvert. Un plan rigoureux, une organisation robuste enserrent ici l'activité de chacun et l'intègrent comme un élément du tout. Les besoins immédiats de la vie quotidienne et leur satisfaction égale pour tous, tel est le point de départ et l'aboutissement de cette organisation. Tous travaillent ensemble pour tous et décident ensemble de tout. » Ce qu'elle apprécie et met en évidence sont les traits de cette formation communautaire primitive qui l'opposent au capitalisme et la rendent, à certains égards, humainement supérieure à la civilisation industrielle bourgeoise : « Il y a donc deux mille ans et même davantage.., régnait chez les Germains un état de choses foncièrement différent de la situation actuelle, pas d'État avec des lois écrites et contraignantes, pas de division entre riches et pauvres, entre maîtres et travailleurs. »

En s'appuyant sur les travaux de l'historien russe Maxime Kovalevsky (qui avait déjà vivement intéressé Marx), Rosa Luxemburg insiste sur l'universalité du communisme agraire comme forme générale de la société humaine à une certaine étape de son développement, qu'on trouve aussi bien chez les Indiens des Amériques, les Incas, les Aztèques, que chez les Kabyles, les tribus africaines et les Hindous. L'exemple péruvien lui semble particulièrement significatif, et là aussi, elle ne peut s'empêcher de suggérer une comparaison entre la Marca des Incas et la société « civilisée » : « L'art moderne de se nourrir exclusivement du travail d'autrui et de faire de l'oisiveté l'attribut du pouvoir était étranger à cette organisation sociale où la propriété commune et l'obligation générale de travailler constituaient des coutumes populaires profondément enracinées. » Elle manifeste aussi son admiration pour « l'incroyable résistance du peuple indien et des institutions communistes agraires dont, malgré ces conditions, des vestiges se sont conservés jusqu'au XIXe siècle. » Une vingtaine d'années plus tard, l'éminent penseur marxiste péruvien José Carlos Mariategui va avancer un point de vue qui présente des convergences frappantes avec les idées de Rosa Luxemburg (dont très probablement il ignorait les remarques sur le Pérou) : le socialisme moderne doit s'appuyer sur les traditions indigènes qui remontent au communisme Inca, pour gagner à son combat les masses paysannes.

Mais l'auteur le plus important dans ce domaine est pour Rosa Luxemburg — comme pour Engels dans L'Origine de la famille — l'anthropologue américain L. H. Morgan. En s'inspirant de son ouvrage classique (Ancient Society, 1877) elle va plus loin que Marx ou Engels et développe toute une vision grandiose de l'histoire, une conception novatrice et hardie de l'évolution millénaire de l'humanité, dans laquelle la civilisation actuelle « avec sa propriété privée, sa domination de classe, sa domination masculine, son État et son mariage contraignants » apparaît comme une simple parenthèse, une transition entre la société communiste primitive et la société communiste du futur. L'idée romantique/révolutionnaire du lien entre le passé et l'avenir apparaît ici de façon explicitée : « la noble tradition du lointain passé tendait ainsi la main aux aspirations révolutionnaires de l'avenir, le cercle de la connaissance se refermait harmonieusement et, dans cette perspective, le monde actuel de la domination de classe et de l'exploitation, qui prétendait être le nec plus ultra de la civilisation, le but suprême de l'histoire universelle, n'était plus qu'une minuscule étape passagère dans la grande marche en avant de l'humanité. »

Dans cette perspective, la colonisation européenne des peuples du Tiers monde lui apparaît essentiellement comme une entreprise socialement destructrice, barbare et inhumaine ; c'est le cas notamment de l'occupation anglaise des Indes, qui a saccagé et désagrégé les structures agraires communistes traditionnelles, avec des conséquences tragiques pour la paysannerie. Rosa Luxemburg partage avec Marx la conviction que l'impérialisme apporte aux pays colonisés le progrès économique, même s'il le fait « par les méthodes ignobles d'une société de classes. » Toutefois, tandis que Marx, sans cacher son indignation devant ces méthodes, insiste surtout sur le rôle économiquement progressiste des chemins de fer introduits par l'Angleterre en Inde, l'accent, chez Rosa Luxemburg, est mis plutôt sur les conséquences socialement néfastes de ce « progrès » capitaliste : « les anciens liens furent brisés, l'isolement paisible du communisme à l'écart du monde fut rompu et remplacé par les querelles, la discorde, l'inégalité et l'exploitation. Il en résulte, d'une part d'énormes latifundia, d'autre part des millions de fermiers sans moyens. La propriété privée fit son entrée aux Indes et avec elle le typhus, la faim, le scorbut, devenus des hôtes permanents des plaines du Gange. » Cette différence avec Marx correspond bien entendu à une étape historique distincte, qui permet un regard nouveau sur les pays coloniaux, mais elle est aussi l'expression de la sensibilité particulière de Rosa Luxemburg aux qualités sociales et humaines des communautés primitives.

Cette problématique est abordée non seulement dans l'Introduction à l'Economie politique mais aussi dans l'Accumulation du capital, où elle critique à nouveau le rôle historique du colonialisme anglais et s'indigne du mépris criminel que les conquérants européens ont manifesté envers l'ancien système d'irrigation : le capital, dans sa voracité aveugle, « est incapable de voir assez loin pour reconnaître la valeur des monuments économiques d'une civilisation plus ancienne » ; la politique coloniale produit le déclin de ce système traditionnel, et en conséquence, la famine commence, à partir de 1867, à faire des millions de victimes en Inde. Quant à la colonisation française en Algérie, elle se caractérise, à ses yeux, par une tentative systématique et délibérée de destruction et dislocation de la propriété communale, aboutissant à la ruine économique de la population indigène.

Mais au-delà de tel ou tel exemple, c'est l'ensemble du système colonial - espagnol, portugais, hollandais, anglais ou allemand, en Amérique Latine, en Afrique ou en Mie - qui est dénoncé par Rosa Luxemburg, qui se place résolument du point de vue des victimes du « progrès » capitaliste : « Pour les peuples primitifs dans les pays coloniaux où dominait le communisme primitif, le capitalisme constitue un malheur indicible plein des plus effroyables souffrances. » Ce souci de la condition sociale des populations colonisées est un des signes de l'étonnante modernité de ce texte - notamment si on le compare avec l'ouvrage équivalent de Kautsky (publié en 1886) dont les peuples non-européens sont pratiquement absents.

De cette analyse découle la solidarité de Rosa Luxemburg avec le combat des indigènes contre les métropoles impérialistes, combat dans lequel elle voit la résistance tenace et digne d'admiration des vieilles traditions communistes contre la recherche du profit et contre « l'européanisation » capitaliste. L'idée apparaît ici en filigrane d'une alliance entre le combat anticolonial de ces peuples et le combat anticapitaliste du prolétariat moderne comme convergence révolutionnaire entre le vieux et le nouveau communisme...

Selon Gilbert Badia, dont le remarquable ouvrage sur Rosa Luxemburg est un des rares à examiner critiquement cette problématique, dans l'Introduction à l'Économie Politique les structures anciennes des sociétés colonisées sont trop souvent présentées de façon figée, « et opposées radicalement, par un contraste en blanc et en noir, au capitalisme ». En d'autres termes : « A ces communautés parées de toutes les vertus et conçues comme quasi immobiles, Rosa Luxemburg oppose la fonction destructrice d'un capitalisme qui n'a absolument plus rien de progressif. Nous sommes loin de la bourgeoisie conquérante évoquée par Marx dans le Manifeste. » Ces objections ne nous semblent pas justifiées, pour les raisons suivantes : 

1) Rosa Luxemburg ne conçoit pas les communautés comme immobiles ou figées : au contraire elle montre leurs contradictions et transformations. Elle souligne que « par sa propre évolution interne, la société communiste primitive conduit à l'inégalité et au despotisme. »

 2) Elle ne nie pas le rôle économiquement progressif du capitalisme, mais dénonce les aspects « ignobles » et socialement régressifs de la colonisation capitaliste ; 

3) Si elle met en relief les aspects les plus positifs du communisme primitif, en contraste avec la civilisation bourgeoise, elle n'occulte nullement ses limitations et défauts : étroitesse locale, bas niveau de la productivité du travail et du développement de la civilisation, impuissance face à la nature, violence brutale, état de guerre permanent entre communautés, etc. 

4) En effet, l'approche de Rosa Luxemburg se situe très loin de l'hymne à la bourgeoisie de Marx en 1848 ; par contre, elle est très proche de l'esprit du chapitre XXXI du Capital (« Genèse du capitalisme industriel ») où Marx décrit les « barbaries » et « atrocités » de la colonisation européenne.

En réalité, au sujet de la commune rurale russe, Rosa Luxemburg a une vision beaucoup plus critique que Marx lui-même. En partant des analyses d'Engels, qui constatait, à la fin du XIXe siècle, le déclin de l'obchtchina et sa dégénérescence, elle montre, par cet exemple, les limites historiques de la communauté traditionnelle et la nécessité de son dépassement. Son regard se tourne résolument vers le futur, et elle se sépare ici du romantisme économique en général et des populistes russes en particulier, pour insister sur « la différence fondamentale entre l'économie socialiste mondiale de l'avenir et les groupes communistes primitifs de la préhistoire. »

Michael Löwy, Rosa Luxemburg aujourd'hui.

Initiés & arrières loges lucifériennes

Comme Kaa le serpent, le maître spirituel dit : « Aie confiance ! ». « Aie confiance en nos chefs secrets de la hiérarchie initiatique ! »

Samuel Mathers, fondateur de la Golden Dawn, prétendait être en contact avec ces mystérieux chefs. « Au sujet de ces Chefs Secrets, dit Mathers, auxquels je me réfère et dont j’ai reçu la sagesse du Second Ordre que je vous ai communiquée, je ne peux rien vous dire. Je ne sais même pas leurs noms terrestres et je les ai vus que très rarement dans leurs corps physique… Ils me rencontrèrent physiquement aux temps et lieux fixés à l’avance. Pour mon compte, je crois que se sont des êtres humains vivants sur cette terre, mais qui possèdent des pouvoirs terribles et surhumains… Mes rapports physiques avec eux m’ont montré combien il est difficile à un mortel, si avancé soit-il, de supporter leur présence. Je ne veux pas dire dans ces rares cas de rencontre avec eux l’effet produit sur moi était celui de la dépression physique intense qui suit la perte du magnétisme. Au contraire, je me sentais en contact avec une force si terrible que je ne puis que la comparer à l’effet ressenti par quelqu’un qui a été près d’un éclair pendant un violent orage, accompagnée d’une grande difficulté de respiration… La prostration nerveuse dont j’ai parlé s’accompagnait de sueurs froides et de pertes de sang par le nez, la bouche et parfois les oreilles. »

La prostration nerveuse évoquée par Samuel Mathers n'est pas un phénomène rare dans le monde initiatique. La série d'immolations par le feu de moines bouddhistes me rappelle les tribulations d'une loge d'initiés de province dont des membres dépressifs et suicidaires furent admis à l'hôpital psychiatrique le plus proche.

Ces initiés étaient affiliés à la fois à la Rose-Croix, la franc-maçonnerie et l'Ordre martiniste. Chaque année, ils se retrouvaient au Club des Écossais de la Grande Loge de France, rue Puteaux à Paris, où le fils de Papus, Philippe Encausse, franc-maçon, martiniste et probablement membre d'un conventicule Rose-Croix ultra-secret, participait à la cérémonie de commémoration du décès de son père. Parmi ces participants il y avait des « hauts grades », notamment des chevaliers Rose-Croix cooptés par les cercles supérieurs.

Le dix-huitième grade maçonnique, celui de chevalier Rose-Croix, rappelle que « ce sont les frères de la Rose-Croix qui sont allés parasiter les dernières loges opératives d'Angleterre et d'Écosse et qui les ont transformées en loges dites spéculatives. Le rosicrucianisme est une des sources les plus certaines de la maçonnerie moderne en même temps que de l'idéologie révolutionnaire », affirme Jean Vaquié.

Le 18e degré Rose-Croix de la maçonnerie marquerait « l’entrée dans les arrières loges lucifériennes », c'est Jules Doinel, un initié repenti, qui le dit. Il décrit l’ivresse spirituelle malsaine qui se saisit de l’initié devenu chevalier de la Rose-Croix : « Lucifer donne à ce grade un tel charme, un tel éclat qu'on l'embrasse passionnément. On se sent fier et triomphant d'être chevalier de la Rose-Croix. »


« Il y a aussi, poursuit Doinel, l'allégresse hautaine de la profanation du sacrilège conçu, sinon approfondi, de l'association de la pensée humaine à la pensée du roi des Anges coupables, de l'identification avec Lui, de la participation à sa science, de la communion à son Verbe. Il y aussi l'influence de sa Présence spirituelle. »

Pour Doinel, le grade Rose-Croix représente le prototype des hauts grades. Il dit :

« Le grade de Rose-Croix contient donc le satanisme à haute dose. II est le germe des hauts grades, comme le degré d'apprenti était le germe du grade du Maître : avec cette différence, toutefois, que le grade de Rose-Croix constitue le maçon parfait, le maçon ayant contracté, s'il est intelligent, s'il a le sens religieux, un pacte formel avec l'ennemi de Jésus-Christ ». (Jules Doinel)

La formule maçonnique « A.L.G.D.G.A.D.U. » signifie que les initiés œuvrent à la gloire du grand architecte de l'univers. Selon des initiés revenus dans le giron de l’Église, derrière le grand Architecte se cache Lucifer. Lucifer qui s'apparente à Ishvara courroucé des bouddhistes tibétains.

Le lama dissident Kelsang Gyatso, que le dalaï-lama aimerait bien réduire au silence, dit ceci : « Ishvara courroucé demeure dans "Le Pays qui Contrôle les Émanations", c'est-à-dire l'état d'existence le plus élevé à l'intérieur du règne du désir. Ishvara a des pouvoirs miraculeux limités qui le rendent plus puissant que les autres êtres du règne du désir. Si nous faisons confiance à Ishvara, nous pouvons recevoir certains bienfaits temporaires au cours de cette vie, par exemple, plus de richesse et de biens, mais Ishvara courroucé est l'ennemi de ceux qui cherchent la libération, il interfère avec leur progrès spirituel. »

Pour Jean Louis Bernard, « Lucifer correspond à une énorme force mentale, mais sans l'intuition, donc à tendance mécanistique : un robot, un ordinateur céleste, tout cela à la puissance X... C'est l'imposture parfaite, la folie à l'échelle cosmique, sous masque intellectuel. […] Toujours à la fin des grands cycles de civilisation, quand l'humanité est affaiblie biologiquement […], Lucifer se substitue aux arcanes des religions et des sciences par ses anges noirs. C'est lui qui domine en tout cas la civilisation de religion scientiste, la nôtre actuelle. Lucifer tendrait à rythmer les cerveaux de l'élite scientifique selon son propre rythme d'ordinateur céleste. Implanté dans la science d'avant-garde dont l'arcane est bien la folie, non la sagesse, il pousse les faux mages à détruire la nature, à stériliser le globe, puis à lui faire subir le sort de l'antique soleil Lucifer : la désintégration. Par imitation mécanistique. D'un autre côté, Lucifer ne saurait se survivre en spectre du cosmos qu'en vampirisant la nature, donc en l'épuisant. Sa mainmise s'est manifestement accélérée à la fin de la guerre de 1939, quand Hiroshima a élevé les U.S.A. au rang de « peuple élu » de Lucifer ! Étant un dieu tronqué. Lucifer ne peut que tronquer l'homme et la civilisation. Deux éléments manquent toujours à l'homme luciférien : l'intuition et la vitalité, ce qui est logique puisqu'il évolue à l'image de son faux dieu. Par déséquilibre en chaîne, il se sur-intellectualise, mais devient insensiblement robot ou mort-vivant, sa sève vitale se desséchant... Pour ralentir ce processus, il a recours au « sabbat des lucifériens ». Selon un certain ésotérisme politique. Lucifer a un plan grandiose et absurde : faire régir l'humanité par une « synarchie » d'hommes robotisés et faire du globe le centre d'une immense mécanique interplanétaire. Il va de soi que la conquête de l'espace est luciférienne... Le même ésotérisme chuchote que Lucifer règne sur ses « mages », tous plus ou moins robots humains. [...]

Rejetant cette interprétation fantastique de Lucifer, des psychologues avancent une autre thèse : le mythe de Lucifer serait la résultante de l'évolution régressive. Celle-ci ayant progressivement élargi les zones dormantes du cerveau au cours des millénaires et éteint le sixième sens (l'intuition), le « cerveau mort » du cosmos correspondrait à ce cône d'ombre du cerveau humain moderne, en tant que projection et entité collective. Vu ainsi, Lucifer ne perdrait rien de son efficacité. »

Quoi qu'il en soit, le bouddhiste Kelsang Gyatso, le chrétien Jules Doinel et le chercheur laïc Jean Louis Bernard s'accordent pour dénoncer une force redoutable agissant dans des arrières loges occidentales et au cœur de certains temples orientaux.



Les martinistes

« Les martinistes forment une élite intellectuelle des plus rares, une sélection très soignée et très distinguée, dans la phalange occultiste. N'y entre pas qui veut. Celui qui a reconstitué l'ordre martiniste, le docteur P...(Papus.) est un homme d'une merveilleuse intelligence et d'une puissance de réalisation considérable. Nul plus que moi ne déplore l'erreur dans laquelle se meut cet esprit à hautes envolées, ce savant sérieux, cet infatigable écrivain. Il exerce autour de lui une séduction redoutable. Conscient, ou non, de l'œuvre qu'il accomplit, il est l'un des lucifériens les plus dangereux de ce siècle. Je n'ai eu, avec ce personnage éminent dans l'occultisme, que des rapports agréables et je me ferais un chagrin de le désobliger, en tout, sauf en ce qui touche la vérité et la défense de l'Église. Autour de ce chef, se groupe une réunion de jeunes gens sérieux et instruits, érudits et honorables, dont plusieurs sont des maîtres en science magique. Le docteur P... a étudié Saint-Martin et Martinez Pasqualis à fond. A-t-il saisi le sens luciférien du Philosophe Inconnu ? Souvent. L'a-t-il absolument saisi ? Je ne le crois pas. Mais en somme, il a réalisé cette colossale entreprise des groupes ésotériques, répandus aujourd'hui par tout l'univers civilisé, et pépinière formidable de hauts luciférisants. La reconstitution de l'ordre martiniste n'est pas la moindre de ses œuvres. Laissant la doctrine de côté, pour l'instant, je me propose, dans ce chapitre, de dire ce que je sais de cette organisation puissante, qui forme l'une des branches les plus à craindre et à observer de la franc-maçonnerie des arrière-loges. Car le martinisme, qu'il le veuille ou non, est une branche de la haute maçonnerie cosmopolite et internationale. »

Jules Doinel, Lucifer démasqué.

Télécharger gratuitement Lucifer démasqué :

Le pouvoir secret contre le peuple

Quelques mois après l'élection de François Hollande, les Français savent que l'idéal socialiste n'est plus porté par les politiciens professionnels de gauche.

Le seul objectif de la classe dominante, de droite et de gauche, est d'accroître son pouvoir. Pour ce faire, les puissants s'acoquinent et complotent contre le peuple dans des sociétés secrètes ou des clubs très fermés comme Le Siècle (voir la vidéo ci-dessus et lire le livre d'Emmanuel Ratier, Au cœur du pouvoir. Enquête sur le club le plus puissant de France, réédité l'année dernière).

André Frossard se souvient du socialisme de son enfance, durant les années 1920 :

« Lorsque l'on eut coupé mes anglaises pour m'apprendre à lire, le premier livre que m'offrirent mes parents après le Roman de Renart fut un ouvrage à couverture rouge, de l'épaisseur d'un dictionnaire et intitulé Petit-Pierre sera socialiste.

Pour autant qu'il m'en souvienne, c'était une variante idéologique du Tour de France de deux enfants, rédigée de manière à rendre familières aux petits, dans le langage approprié, les données principales de la pensée marxiste. Petit-Pierre, cheminant et questionnant, prenait connaissance des réalités sociales, des servitudes de la condition prolétarienne et des injustices d'une société fondée sur l'exploitation des humbles par une classe favorisée, détentrice des moyens de production et d'échange que sont la terre, les outils, les machines ou l'argent, et qui aspirait tout le profit du travail d'autrui. Ce profit lui fournissant de nouveaux moyens d'acquérir, elle s'enrichissait sans cesse tandis que se multipliaient les pauvres, qui s'appauvrissaient encore.

Il en résultait entre la classe des possédants et celle des démunis un état de tension permanente ou de « lutte de classes » aboutissant périodiquement à des révoltes que les lois n'avaient d'autre fin que d'empêcher, d'interdire ou de réprimer. De tout temps les institutions avaient été conçues par les privilégiés pour perpétuer leurs privilèges ; la morale était chargée de lier les consciences à l'ordre établi contre la justice, méprisée par le capitalisme et ajournée par la religion elle-même.

Mais Petit-Pierre apprenait bientôt qu'il existait un remède à ce mal immense et vieux comme l'histoire. La socialisation des moyens de production et d'échange modifierait radicalement les rapports humains en les purifiant de tout ce qu'il y avait en eux d'inique et de pernicieux. Ils ne s'établiraient plus de maître à esclave, d'oppresseur à opprimé, mais d'homme à homme dans l'égalité parfaite d'une désappropriation générale prononcée par la loi au bénéfice de la collectivité. Sur les biens produits par les travailleurs, la communauté prélèverait de quoi donner « à chacun selon son travail », en attendant d'être assez riche pour pouvoir donner « à chacun selon ses besoins ». L'avidité, la volonté d'accaparement et de domination, ne trouvant plus de soutien et encore moins d'encouragement dans la société nouvelle, périraient d'inanition; les antagonismes économiques et sociaux ayant disparu avec ce qui les rendait inévitables, la guerre deviendrait sans objet et disparaîtrait de la surface de la terre. Les anciens possédants réduits en quelque sorte à l'équité s'humaniseraient d'autant, cependant que les travailleurs recouvreraient leur dignité avec la pleine possession de leur propre personne. La morale ne serait plus ce code diversement pénal de la résignation qu'elle était jusqu'alors, et les derniers pans de la construction religieuse, privée de ses points d'appui, s'effondreraient d'eux-mêmes. Les hommes sauraient enfin le goût de la justice et de la paix. La science se chargerait du reste.

Je ne prétends pas résumer le marxisme en une page, et il est probable que je viens de mêler le souvenir de ses premières leçons à celui de mon gros livre rouge. Quoi qu'il en soit, Petit-Pierre devenait socialiste. Comme il était sérieux et gentil, je le devins aussi. »

André Frossard, Dieu existe, je l'ai rencontré.

Le B'naï B'rith à Hollywood

Larry Hagman, décédé le 23 novembre 2012, qui interprétait le rôle de J.R. Ewings dans la fameuse série Dallas était proche d'une loge maçonnique exclusivement réservée aux Juifs, le B’naï B’rith. Proximité que partage un autre comédien, le président de la commission européenne José Manuel Barroso (invité spécial du VIe congrès de cette obédience sioniste).

Le B'naï B'rith à Hollywood

« Dès les années trente, le B'naï B'rith avait créé des « loges professionnelles » dans les secteurs où l'Ordre disposait d'une implantation suffisante ou souhaitait en disposer d'une. Dès 1927, le B'naï B'rith avait ainsi signé un accord avec le principal syndicat de production et de distribution de films américains, la Motion Picture Producers and Distributors of America. Le prétexte en fut le film Le Roi des rois de Cecil B. De Mille, qui raconte la vie de Jésus. Alfred M. Cohen, président à l'époque du B'naï B'rith, obtint du célèbre cinéaste qu'il rectifie divers passages et modifie certaines scènes, de manière à « corriger » la fiction, en particulier le passage sur la Passion du Christ, afin de dédouaner de toute responsabilité les juifs. Il fut obtenu en outre que le film ne serait pas diffusé « dans les pays européens ou dans les communautés dans lesquels le jugement du Conseil des sages (le Sanhédrin) pourrait créer des sentiments anti Juifs, et là non plus où il risquerait d'être la cause de désordre, en raison du sujet du film ». Le B'naï B'rith créa rapidement, à l'image des organisations maçonniques, sa propre Fraternelle du cinéma, qui regroupa tous les Frères dans cette profession, des acteurs aux cinéastes, des producteurs aux distributeurs, des scénaristes aux techniciens. La fine fleur du cinéma s'y retrouva, avec des hommes aussi puissants qu'Alfred W. Schwalberg, président de Paramount Pictures, Barney Balaban, président de la firme Paramount, ou Harry Goldberg, de la Warner Brothers. Dans les années 1925-1935, cette Fraternelle était déjà si puissante que Will Hays, surnommé " Le Tsar du cinéma ", invita le président du B'naï B'rith, Alfred M. Cohen (juriste, élu sénateur en 1896, à la tête du B'naï B'rith de 1925 à 1938), aux studios de production de New York afin de lui demander de devenir son conseiller en filmographie, de manière à surveiller tous les scénarios en rapport plus ou moins direct avec le judaïsme.

La Loge fut enregistrée auprès du B'naï B'rith le 16 novembre 1939 sous le numéro distinctif 1 366. Elle comprenait alors environ cent cinquante Frères fondateurs. Sous l'influence de Schwalberg, qui en fut le premier président, la Loge compta dans les années quarante plus de 1 600 Frères (acteurs, réalisateurs, producteurs, scénaristes, etc.) qui exercèrent une influence certaine sur nombre des films de cette époque, en particulier durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années soixante, la Loge perdit de son importance, en raison surtout du fait qu'elle demeurait réservée aux hommes. En 1974, son nouveau président, Herbert Morgan, la transforma en Loge mixte, la Cinema Unit 6 000. Elle retrouva alors une nouvelle vigueur. En 1977, ce chapitre fusionna avec la Loge Radio-Télévision, pour devenir l'actuelle Cinema-Radio-TV Unit 6 000, qui regroupe tous les membres du B'naï B'rith influents dans les médias, les spectacles et le cinéma (y compris les critiques de cinéma), afin de leur permettre de mieux coordonner leurs projets. Comme le dit l'un de ses anciens présidents, Ted Lazarus, cette Loge donne à ses membres « une raison pour identifier la judéité avec un lien professionnel ».

Dans les soirées de bienfaisance du B'naï B'rith ou dans les spots publicitaires (destinés à ramasser des fonds) de sa filiale, la Ligue Anti-Diffamation (A.D.L. ), interviennent des acteurs célèbres, membres de la Loge 6 000 ou de l'A.D.L., comme Larry Hagman, qui interprète J.R. Ewings dans la fameuse série Dallas. Dans le spot, Hagman, jouant sur son image de « méchant » demande aux téléspectateurs de se méfier dans la vie des « méchants », et d'aider les « bons » (c'est-à-dire l'A.D.L.) à gagner le bon combat. On peut aussi citer le héros de la série Hooker, William Shatner (ex-capitaine Kirk de Star Trek), ou Leonard Nimrod, le célèbre Monsieur Spock de La Guerre des étoiles (Star Trek).

Dès 1946, la filiale spécialisée du B'naï B'rith, l'A.D.L., diffusait son programme quotidien sur 216 radios. Ce chiffre a au moins doublé depuis cette date. De manière significative, le président national de l'A.D.L. fut d'ailleurs dans les années soixante Dore Schary, un célèbre scénariste et producteur de cinéma d'Hollywood. Une série de prix Dore Schary « pour les relations humaines " sont désormais décernés chaque année, depuis 1983, par l'A.D.L. A l'instar du B'naï B'rith, l'A.D.L. influence également les productions cinématographiques, telle la série We, the people, dans les années cinquante.

A l'occasion, l'A.D.L. et le B'naï B'rith lancent de grandes campagnes, comme lors de la diffusion sur les réseaux américains du « docu-drama » Holocauste, où la fiction était intimement mêlée à la réalité historique, sans que l'on puisse vraiment distinguer l'une de l'autre. A l'occasion de la diffusion de cette série, du 16 au 19 avril 1978, qui devait être regardée par plus de 120 millions d'Américains, le B'naï B'rith envoya à l'ensemble des membres du Sénat et de la Chambre des représentants l'intégralité du scénario, et diffusa un supplément de seize pages ( The Record) à onze millions d'exemplaires, principalement auprès des écoles. Un Guide du spectateur d'Holocauste fut également publié par la chaîne N.B.C., en liaison avec le Comité juif américain, contrôlé par le B'naï B'rith.

Le B'naï B'rith a également été à l'origine d'un genre nouveau, amplement relayé par les réseaux de la planète, le film « blanc terroriste », à base de savants désaxés, de nazis plus vrais que nature et autres skinheads, réalisé à partir d'enquêtes et de rapports de l'A.D.L. On peut citer Into the Homeland (1987), qui met en scène des chrétiens fondamentalistes opposés à l'impôt sur le revenu, réalisé à partir d'un rapport spécial de l'A.D.L. publié en 1986 et intitulé Les fermiers américains et les extrémistes. Autres exemples, les « docu-dramas néo-nazis » comme Trahis, Les Skinheads, La Deuxième montée de la haine, Dead Bang ou Nous saluons avec orgueil, qui s'inspirent directement des rapports de l'A.D.L. Rasés pour la bataille : les cibles des skinheads (1987) et La Jeunesse et la violence : la menace grandissante des skinheads américains néo-nazis (1988).

C'est sans doute cette volonté pédagogique qui a amené en 1982 la Fondation européenne de la Ligue Anti-Diffamation (A.D.L.E.F.), peu après sa création en Europe, à lancer en 1982, en liaison avec le Centre pédagogique juif de Paris, un vaste programme audiovisuel destiné aux écoles françaises pour être utilisé dans les programmes scolaires. Trois films devaient être diffusés dans un premier temps, sur les thèmes suivants : les stéréotypes, les boucs émissaires, le mythe de la race supérieure. »

Emmanuel Ratier, Mystère et secrets du B’naï B’rith.

De l'exemple islandais à l'e-République

En France, les cinq millions de chômeurs ne sortiront pas de l'ornière sans se débarrasser d'une classe politique qui est à vomir. Il est temps de s'inspirer de la révolution pacifique islandaise pour en finir avec les bouffonneries de l'UMP, la trahison des socialistes, l'arrogance de l'oligarchie, la dictature de la finance internationale... 

Dans ma circonscription, durant les législatives de 2012, j'étais le seul candidat à la députation à préconiser la démocratie directe. Aujourd'hui, j'ajoute que la Ve République doit être renouvelée par une e-République.

Le droit à une e-démocratie

« L'application du principe démocratique, écrit Marie-Charlotte Roques-Bonnet, est déterminée par les trois premiers articles de notre Constitution : l'article 1er pose que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L'article 2 alinéa 5 pose le principe du « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Enfin, l'article 3 énonce la délicate interaction entre souverainetés nationale et populaire : « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Pourtant, jusqu'à l'émergence du réseau, le compromis entre l'école représentative des « élites responsables » et l'école « participationniste » était fort théorique. Peut-être faut-il expliquer cette frilosité par les déconvenues occasionnées par le recours aux machines à voter et les expérimentations de vote électronique. Média interactif, média de l'abondance, espace d'expression directe libéré de toute censure et de toute ascendance gouvernementale, l'Internet devient le support d'une liberté d'expression et d'action qui caractérise la composante directe de nos démocraties. Il a incarné un premier enjeu démocratique, en devenant l'instrument du suffrage via l'e-vote. Le deuxième enjeu à relever dans la société numérique sera de définir ce qu'est l'e-démocratie, sa dimension politique et ses limites constitutionnelles. [...]

Un débat fondamental : la Ve République à l'épreuve de l'Internet

De la société hors ligne à la société en ligne, ce ne sont pas seulement nos pratiques et actions quotidiennes qui ont changé. C'est aussi notre République. Il convient donc de définir ce qu'est l'e-République. Ce qui devrait permettre de mieux comprendre comment la hiérarchie des normes a été bousculée par l'Interner. Parce qu'elle encadre des institutions, des droits et des normes redéfinis sur le modèle du réseau, la Constitution française basculerait du modèle de la pyramide à celui du réseau, c'est-à-dire du paradigme de la « supraconstitutionnalité » à celui de l'« identité constitutionnelle de la France », dont la Constitution reste le cœur.

De l'existence d'une e-République

Dans la première partie du XXe siècle, le modèle de l'État de droit présupposait un système juridique « autarcique ». Il était caractérisé par une production des normes autonome : la garantie des droits du citoyen français restait indépendante des autres systèmes de droit. Et la séparation des pouvoirs se construisait efficacement au sein de la seule République. Aujourd'hui, toute interaction avec des systèmes de droit subsidiaires et supranationaux est à l'origine d'un processus normatif en deux étapes : la création de normes subsidiaires à l'échelle communautaire (directives) et/ou internationale (conventions) et leur réception dans l'ordre normatif français (article 88-1 et article 53 de la Constitution). De manière inédite, à partir de 1992, simultanément à l'émergence de l'Internet, le pouvoir constituant devait admettre le basculement de l'« autarcie normative » à l'interactivité normative. C'est-à-dire le basculement vers un droit construit en réseau, produit pour partie au sein de l'État et, pour partie, au sein de l'Union en application du principe de subsidiarité.

L'e-République n'est pas un concept remettant en cause l'État de droit, mais le redéfinissant en partie par la subsidiarité normative. Face au réseau, « d'un point de vue de logique comme de pratique juridique, l'affirmation d'une hiérarchie dans un des ordres juridiques seulement ne semble plus véritablement défendable ». En marge du « fantasme de l'interconnexion généralisée de tous les terminaux, et l'avènement d'une culture transnationale, déracinée, mondiale » , il s'agit à présent d'observer les mouvements réels du droit. Et d'admettre que la pyramide des normes définie par H. Kelsen un siècle plus tôt ne reflète plus les modes de production du droit. Saisi « dans ses trois dimensions (institutionnelle, normative et substantielle), le droit constitutionnel tend à devenir un droit commun à tous les systèmes qui se veulent démocratiques ». Le réseau électronique universel stigmatise une transformation préexistante au réseau, et identifiée par L. Scheer comme la Constitution d'une société qui « connecte ou commute ».

S'il revient « à la technologie de s'adapter aux exigences fondamentales du droit » , il revient aussi au constituant d'adapter le Pacte à la société. Sans soutenir la thèse proposée par le professeur Macintosh ni la mise en place du site « http://www.etats.net » nous admettrons, à l'unisson avec M.-A. Frison-Roche, que, pour partie, « le droit doit se mettre à l'image de son objet : puisque son objet est ici un réseau mondial, les États doivent se structurer en reflet » . Tout comme il s'agit d'admettre, en écho aux propos de L. Favoreu et G. Vedel, « un droit constitutionnel transnational » dépassant l'« impérialisme "constitutionnaliste" ». Parce qu'il est transnational, parce que l'« Internet tue la hiérarchie », parce qu'il met le droit constitutionnel « à l'épreuve de la pratique », le droit du développement numérique impose une réflexion de fond sur la définition de la Constitution.

Certes, « le progrès, toujours technique, dans nos sociétés industrielles, ne s'est jamais réalisé sans atteintes inédites à l'ordre public ». Certes, à son époque, Victor Hugo avait dit de l'apparition de l'imprimerie qu'il s'agissait de « la révolution mère » de « la pensée humaine » . Dans une même logique de mise à disposition de la pensée humaine, en un clic, l'Internet est lui aussi devenu une révolution. À la différence que ce dernier est plus qu'un média : il est un facteur de démocratie. Il apporte plus qu'une nouvelle forme pour nos idées ; il les rend interactives. Il ne révolutionne pas seulement la communication de ces idées ; il redéfinit leur conception en réseau. Et le développement numérique a ceci de différent qu'en modifiant le visage de notre démocratie, il modifie aussi celui de notre République. L'e-démocratie impose une réflexion que n'imposaient certes pas le téléphone, la radio ou bien la télévision sous la IIIe République. À ce titre, le constituant ne pourrait, à long terme, rester indifférent à la révolution numérique sans apparaître, finalement, indifférent à la démocratie.

Mais, pas plus que la Cohabitation, par exemple, il n'impose de changer de Pacte social. La percée des « acteurs participatifs » et des citoyens, portée par l'environnement numérique, crée une normativité « dialoguée », désintermédiée, « communautarisée ». Par conséquent, « la société de l'information apparaît comme inséparable de la démocratie dont tes valeurs forment, avec les siennes, un socle commun et qu'elle peut contribuer à consolider, en renforçant le lien social ». Ce lien social étant redéfini à l'échelle universelle, il en résulte que, pour protéger le citoyen dans l'univers numérique, la Constitution doit encadrer les enjeux nouveaux de la subsidiarité normative. Stigmatisée par le titre XV de la Constitution, cette quatrième et dernière mission constituante replacerait enfin l'individu au centre du processus normatif et au centre de la démocratie, que le citoyen inscrive son action dans l'État, dans l'Union européenne, ou sur le réseau universel. L'organisation des systèmes de droit subsidiaire rappelle dès à présent que « l'individu placé au centre de la société acceptera d'autant mieux la norme qu'elle aura été prise par le niveau décisionnel qui lui est le plus proche » ou au niveau qui semble, techniquement, le plus compétent. Pour autant, la démocratie électronique n'impose pas une VIe République. Certes, le réseau électronique est un « média polymorphe, l'instrument moderne capable de révolutionner le rapport gouvernés-gouvernants » . Mais il exige simplement le basculement d'une représentation pyramidale de la Constitution à une représentation en réseau. »

Marie-Charlotte Roques-Bonnet, Le droit peut-il ignorer la révolution numérique.

Technique & parole

Au mois de mai 2012, en pleine campagne pour les législatives, le député sortant de la Creuse est menacé de mort. Immédiatement, la gendarmerie contacte tous les candidats afin de les rassurer. Ils peuvent continuer à répandre leur « bonne parole » sans crainte, la maréchaussée veille.

Aujourd'hui, je poursuis ma campagne pour la véritable démocratie et je reçois des e-mails de déséquilibrés qui aimeraient me faire taire et faire taire les internautes engagés dans une grande e-révolution pacifique. Révolution qui inquiète aussi l'ONU. Cette organisation mondialiste douteuse et son organisme l'Union internationale des télécommunications (en anglais International Telecommunication Union ou ITU) dont le siège est à Genève, en Suisse, œuvrent au contrôle de l'Internet.

Bien avant Internet, dans un texte écrit en 1952, le philosophe Georges Gusdorf (1912-2000) souligne l'importance des techniques de diffusion de la parole dans la transformation de l'homme.

« Chez les Grecs, écrivait Fénelon, tout dépendait du peuple, et le peuple dépendait de la parole » (Lettre à l'Académie, IV). La civilisation antique tout entière est une civilisation de la parole, qui incarne l'autorité, et permet seule de parvenir au pouvoir. L'histoire de l'antiquité, et l'homme même d'autrefois, ne nous deviennent vraiment intelligibles que si l'on tient compte de ce fait capital. Autrement dit, il y a une évolution de la parole à travers le temps. L'apparition de techniques nouvelles multiplie sa portée, en lui ouvrant des dimensions inédites qui transforment la structure même de l'existence. L'homme a cessé d'être seulement l'être qui parle, il est devenu l'être qui écrit et qui lit, et la face du monde s'en est trouvée transformée.

L'émergence de l'humanité supposait cette première révolution que constitue le passage du monde vécu au monde parlé. La réalité humaine se définit d'abord comme un ensemble de désignations, son unité est celle d'un vocabulaire. La première civilisation est une parole en expansion, et ce caractère suffit à nous donner la clef de la conscience mythique, puisque aussi bien mythe signifie parole (muthos). Au sein de ce genre de vie, la parole est liée à un support vivant, parole de quelqu'un, rapportée par quelqu'un. La seule réserve de parole, le seul procédé de conservation, est la mémoire personnelle, extrêmement développée, ainsi que la mémoire sociale, la tradition et la coutume Civilisation de l'on-dit, de la rumeur, où la parole peut tout, — civilisation de la formule, du secret, de la magie. L'autorité appartient aux anciens, aux vieillards en qui survit le trésor de l'expérience ancestrale, jalousement gardé, mais fragile et menacé, car si celui qui sait disparaît, personne ne saura plus. La découverte de l'isolé ne profite qu'à lui seul. Le patrimoine communautaire est suspendu à la continuité des hommes. Il ne peut être mis à l'abri, capitalisé en dehors du circuit des vivants ; il doit toujours s'affirmer en acte, et de ce fait ses limites sont celles-là mêmes des possibilités d'une mémoire humaine, avec ses déformations et ses fabulations.

Davantage encore, on peut penser que l'homme préhistorique, justement parce qu'il ignore l'écriture, ne sait pas parler tout seul. Il n'existe qu'au niveau de la conversation, c'est-à-dire de la participation. A la civilisation orale correspond une culture diffuse, une littérature anonyme où les œuvres non signées appartiennent à tout le monde et à personne. C'est l'âge patriarcal de l'épopée (étymologiquement : ce qu'on exprime par la parole), de la légende (ce qu'on raconte), de la ballade, du conte et du dicton, trésors populaires, fruits d'un inconscient collectif, paroles qui volent et vagabondent à travers le monde, paroles trop souvent envolées à jamais parce que, lorsqu'elles vivaient encore, personne ne s'est soucié de les fixer une fois pour toutes.

L'invention de l'écriture a bouleversé le premier univers humain, elle a permis le passage à un nouvel âge mental. Il n'est pas exagéré de dire qu'elle constitue un des facteurs essentiels dans la disparition du monde mythique de la préhistoire. La parole avait donné à l'homme la domination de l'espace immédiat ; liée à la présence concrète elle ne peut atteindre, dans l'étendue et dans la durée, qu'un horizon raccourci aux limites fuyantes de la conscience. L'écriture permet de séparer la voix de la présence réelle, et donc elle multiplie sa portée. Les écrits restent, et par là ils ont pouvoir de fixer le monde, de le stabiliser dans la durée, comme ils cristallisent les propos et donnent forme à la personnalité, désormais capable de signer son nom et de s'affirmer par delà les limites de son incarnation. L'écrit consolide la parole. Il en fait un dépôt qui peut attendre indéfiniment sa réactivation dans des consciences à venir Le personnage historique prend la pose devant les générations futures, il relate sur le basalte, le granit ou le marbre, la chronique de ses hauts faits.

Ainsi l'invention de l'écriture délivre l'homme du règne de la tradition et de l'on-dit. Une nouvelle autorité va naître, celle de la lettre substituée à la coutume, dans une ambiance sacrée. Car la première écriture est magique, de par ses prestigieuses vertus. Les premiers caractères sont hiéroglyphes, c'est-à-dire signes divins, réservés aux prêtres et aux rois. Le droit écrit apparaît d'abord sur les tables de la loi, que les dieux du ciel communiquent aux hommes. Le code divin remplace la tradition et stabilise l'ordre social en rendant possible une administration d'expansion indéfinie. La nouvelle autorité s'incarne en des hommes nouveaux, hommes d'écriture, lettrés, prêtres et scribes, qui mettent en œuvre l'efficacité de leur technique dans un secret jalousement gardé. La parole des dieux devient elle-même une Écriture sainte. Les grandes religions, Judaïsme, Christianisme, Islam reposent ainsi sur le dépôt d'un texte sacré dont les clercs et les commentateurs assurent la garde et l'interprétation.

L'écriture, la lecture sont donc d'abord le monopole d'une caste de privilégiés. Les lettrés forment une élite, qui se reconnaît à l'usage de la langue écrite, spécifiquement distincte de la langue parlée. Car « on n'écrit jamais comme l'on parle, note M. Vendryes ; on écrit (ou l'on cherche à écrire) comme les autres écrivent » (Le langage, p. 389). La langue vulgaire ne peut revêtir la dignité de l'écriture. Jusqu'à nos jours, la recherche du style est le signe distinctif de la langue écrite, et la moindre lettre nous oblige à recourir à des formules empruntées, qui n'interviennent jamais dans la conversation. Il existe en pays musulman, un arabe littéraire, langue morte qui se survit pour l'écriture, et un arabe dialectal, que l'on parle, mais que l'on n'écrit pas. On a pu dire, de nos jours, qu'un écrivain comme Valéry perpétuait dans ses livres la langue écrite du XVIIIe siècle qui, dès cette époque, se distinguait très nettement de la langue familière. Ainsi se maintient le caractère aristocratique de l'écriture, qui nous impose un régime d'archaïsme et de convention comme si le recours au papier et au porte-plume mobilisait en nous une autre conscience, distincte de la conscience parlante.

L'écriture a pourtant cessé d'être le privilège de quelques-uns Elle fait partie du minimum vital de l'homme d'aujourd'hui, du moins en Occident — car dans l'ensemble de l'humanité, on compte maintenant encore une majorité d'illettrés. Une nouvelle révolution technique est intervenue au XVIe siècle, avec la découverte de l'imprimerie, qui a bouleversé les conditions d'existence spirituelle en faisant passer la vie intellectuelle de l'âge artisanal à celui de la grande industrie. L'écriture, la lecture se trouvent désormais à la portée de tous. La consommation de papier imprimé ne cesse d'augmenter à mesure que se perfectionnent les techniques d'utilisation, si bien qu'aujourd'hui encore l'humanité souffre d'une crise latente, d'une véritable disette de papier journal. Dès le XVIe siècle, la diffusion du livre offre à chaque homme la possibilité, moyennant une initiation préalable, d'un accès direct à la vérité.

L'événement est d'une importance capitale : la vérité ne fait plus acception de personne, de caste ni de rang, L'esprit critique est né ; chaque homme est appelé à juger par lui-même de ce qu'il doit croire ou penser. L'humanisme de la Renaissance se fonde sur l'édition des classiques grecs et latins comme la Réforme est rendue possible par la diffusion de la Bible imprimée. Par une rencontre significative, la même assemblée du peuple qui décide, en 1536, l'adoption de la Réforme à Genève, décrète l'instruction publique obligatoire. Cette initiative mémorable dans l'histoire de l'Occident correspond à l'exigence de la nouvelle conscience religieuse qui veut aborder individuellement les textes sacrés En même temps d'ailleurs, et pour les mêmes raisons, se constituent les langues littéraires modernes. Le latin suffisait jusque-là aux besoins de l'élite des clercs. La promotion intellectuelle de masses de plus en plus importantes pour lesquelles l'écriture et la lecture ne sont plus un métier, mais un élément de culture et de vie spirituelle, entraîne la formation des langues écrites constituées à partir des dialectes simplement parlés.

La civilisation moderne est une civilisation du livre. L'imprimé se trouve si intimement associé à notre vie que nous avons quelque peu perdu le sens de son importance. Mais qu'un seul jour nous soyons privés de journal, et nous vérifierons l'exactitude de la formule de Hegel disant que la lecture du journal est la prière du matin de l'homme moderne. L'imprimerie nous donne l'espace et le temps, le monde et les autres. L'univers dans lequel notre conscience en chaque instant nous situe est l'expression de nos lectures, et non pas le résumé de notre expérience directe, tellement restreinte en comparaison. Le rôle de la parole ne cesse de diminuer, tandis que l'imprimé multiplie sans fin la possibilité de communication entre les hommes.

L'imprimerie n'est d'ailleurs pas seulement une technique de mise en relation. Elle exerce son influence sur la structure même de la conscience. L'homme qui écrit et qui lit n'est plus le même que celui qui doit à la seule parole proférée son insertion dans l'humanité. Les valeurs en jeu se modifient profondément. La parole est captive de la situation ; elle suppose un visage et un moment, un contexte d'émotion actuelle, qui la surcharge de possibilités extrêmes pour l'entente comme pour la discorde. Au contraire, l'écriture donne du recul. Elle soustrait le lecteur aux prestiges de l'actualité. Elle le renvoie de la présence de chair, à une présence d'esprit, de l'actualité massive, chargée de sentiment, à une actualité plus dépouillée, non plus selon l'événement mais selon la pensée. Le pamphlet le plus passionné laisse à l'esprit critique des possibilités d'intervention qu'une harangue exaltée supprime tout à fait. A cet égard, l'écriture paraît une réflexion de la parole, une première abstraction qui tend à souligner sa signification en vérité. La parole écrite s'offre à nous, privée de son orchestration vivante, à la fois parole et silence. L'absence, le silence ici comme une épreuve qui fait mûrir les décisions et confirme l'amour. Sans doute n'y a-t-il pas de plus haute réussite humaine que l'entente de deux êtres dans l'authenticité, la communion plénière de deux vivants. Mais en dehors de ces moments d'exception, l'écriture, qui fait parler les profondeurs et donne aux résonances le temps de s'éveiller, offre à la vie spirituelle d'immenses possibilités. Elle ressuscite les morts et permet à notre pensée de rencontrer dans le recueillement du loisir les grands esprits de tous les temps. Encore faut-il, pour que l'écrit prenne tout son sens, que le lecteur soit capable d'accueillir la grâce qui lui est faite. Tout dépend en fin de compte de son ouverture propre et de sa générosité.

La découverte de l'imprimerie a donc été pour l'humanité une véritable révolution spirituelle. Il semble que notre époque, témoin de l'éclosion de techniques nouvelles, se trouve sous le coup d'un bouleversement non moins radical, dont les conséquences nous échappent encore. Les moyens d'enregistrement et de transmission de la parole connaissent une prolifération extraordinaire : téléphone, télégraphe, photographie, phonographe, cinéma, radio, télévision prennent dans l'existence de l'homme d'aujourd'hui une place sans cesse croissante. Ce ne sont plus là des procédés d'écriture abstraite ; la voix, transmise dans toute sa qualité sonore, accompagne l'image même de la personne, retenue dans la fidélité de son geste total, avec son mouvement, sa couleur, et parfois même son relief. Nous assistons à une restitution globale de la réalité, comme si la civilisation contemporaine, civilisation de masse, qui rend les hommes absents les uns aux autres, s'efforçait de compenser cette absence en multipliant les possibilités de présence artificielle. L'homme d'aujourd'hui connaît la voix et l'image de tous les grands de la terre. Le cinéma, le journal illustré lui donnent vraiment une conscience planétaire.

Il est difficile sans doute d'apprécier les conséquences de l'évolution technique si rapide à laquelle nous assistons, et de prévoir en quoi seront différents de nous les hommes de demain, habitués à considérer comme banales des innovations qui nous paraissent quasi miraculeuses. Sans doute convient-il de se méfier d'un optimisme trop facile ou d'un pessimisme radical. Il est aussi absurde d'imaginer que l'homme lui-même deviendra meilleur par la magie des instruments nouveaux dont il dispose, que de se désoler parce que les moyens de dépaysement vont l'arracher à lui-même et l'abrutir à jamais. Tout au plus peut-on rêver à ce que sera une humanité où l'on n'aura plus besoin d'apprendre à lire, ni à écrire, lorsque l'usage généralisé du magnétophone permettra de fixer directement la parole et de l'écouter ensuite sans aucun chiffrage ni déchiffrement. Une pelote de fil remplacera le livre et l'imprimerie ne sera plus qu'un souvenir des temps archaïques. Une telle transformation ne bouleversera pas seulement la pédagogie. Elle modifiera la structure même de la pensée, — car la pensée n'existe pas en dehors de ses instruments, et comme préalablement à son incarnation. De même que la parole n'est pas un moyen d'expression, mais un élément constitutif de la réalité humaine, de même les techniques d'enregistrement mécanique feront très probablement sentir leur influence au niveau même de l'affirmation personnelle dans un sens qui demeure pour nous imprévisible. La civilisation du livre cédera la place à une civilisation de l'image et du son. Des arts nouveaux, dès à présent, prennent naissance et le génie humain voit s'ouvrir à lui de passionnantes aventures La technique doit s'approfondir en conscience, elle doit élargir la conscience que l'homme a de lui-même, et donc augmenter de provinces nouvelles la réalité humaine.

Georges Gusdorf, La parole.