Dans le conflit Arcelor Florange contre
Lakshmi Mittal, les ouvriers de la sidérurgie s'estiment trahis par
le gouvernement socialiste. Ce n'est pas surprenant, la bourgeoisie
sociale-libérale au pouvoir méprise trop les prolétaires pour les
protéger contre les milliardaires prédateurs.
Avant la révolution numérique (outil
idéal d'une future démocratie directe), François de Closets
envisageait des actions véritablement démocratiques : « Elles
viseraient tout à la fois, disait-il, à remettre au pouvoir la
réalité c'est-à-dire la masse des gens sans importance et sans
compétence, et à donner aux élites dirigeantes une formation qui
les éloigne des illusions contraires de la technique et de
l'idéologie. Beaucoup de progrès sont à accomplir en cette matière
dans la société française.
Les pays industrialisés tendent
naturellement à concentrer le pouvoir entre les mains de « gens
compétents », à provoquer la démission du plus grand nombre.
Cette spécialisation des dirigeants, cet éloignement des centres de
décision, bref cette technocratie généralisée, constitue la base
politique de toutes les illusions. Il faudrait briser
ce système en réintégrant dans les mécanismes de
décision les simples citoyens qui en subiront les conséquences.
Tout a été dit sur les inconvénients, voire les impossibilités,
d'une démocratie directe. Il est vrai qu'en ce domaine la plupart
des tentatives aboutissent à des résultats décevants. Au
contraire, les procédures autoritaires et technocratiques offrent
les plus grandes commodités. Elles permettent de prendre rapidement
des décisions cohérentes. Mais on sait que cette efficacité n'est
souvent qu'apparente. La vie des hommes, largement déformée par ces
méthodes, ne souffre pas toujours d'être ainsi maltraitée. Et l'on
retrouve, au niveau de l'exécution, les inconvénients que l'on
avait évités au niveau de la décision.
Mais s'il faut permettre aux
intéressés de participer directement à la gestion de leurs
affaires, un tel résultat ne peut provenir que d'une
décentralisation du pouvoir, non pas seulement dans
l'administration, mais également au sein de l'entreprise. Plus les
centres de décision se rapprochent des exécutants, plus les
problèmes sont traités à petite échelle et moins on risque de se
perdre dans les fictions comptables et administratives. Le cadre
naturel de l'homme c'est l'atelier, la commune, voire le quartier,
l'association à laquelle il appartient, l'immeuble dans lequel il
habite. Ces communautés doivent vivre, et pour cela, exercer une
responsabilité. C'est alors que les risques de la technocratie sont
les plus réduits.
Il est vrai que de telles organisations
sont fort difficiles à mettre sur pied et à faire vivre, encore
plus à. intégrer dans le cadre élargi d'un pays moderne, mais ces
difficultés sont d'autant plus grandes que l'on n'a jamais tenté de
les résoudre. Quelle expérience avons-nous des ateliers autonomes,
des communautés de quartiers ? Quand a-t-on délégué à des
groupements de citoyens une part suffisante de responsabilité dans
la gestion de la vie collective ? Il faudrait effectuer des
expériences pilotes pour voir ce qui est possible et ce qui ne l'est
pas. Malheureusement ces tentatives sont considérées avec méfiance.
Des milliers de grands esprits travaillent sur les méthodes «
modernes » de gestion ou d'administration, mais combien
réfléchissent à des méthodes nouvelles plus proches des
intéressés ?
En bonne théorie le système
représentatif devrait permettre aux citoyens de contrôler la
gestion de leurs affaires, de les gérer par représentants
interposés. Outre que ce système n'existe pas dans les entreprises,
il semble aujourd'hui s'être fait le complice de toutes les
illusions.
N'en prenons qu'un exemple : le
Parlement. Voilà cinq cents personnes qui sont censées constituer
un « échantillon représentatif » de la société française.
Celle-ci se compose en majorité de femmes, de jeunes, de retraités,
d'employés, d'ouvriers, d'agriculteurs, de petits commerçants.
L'Assemblée nationale, elle, se compose d'hommes exerçant les
professions d'avocats, de fonctionnaires — énarques de préférence
— de médecins, de notaires, de professeurs, d'administrateurs de
sociétés. Quand d'aventure un « gagne-petit », un « homme sans
importance» accède à la députation, il abdique immédiatement son
originalité entre les mains d'un état-major politique. Qui plus
est, la majorité des parlementaires sont depuis de nombreuses
années des professionnels de la politique qui vivent en marge des
citoyens ordinaires.
Aussi les débats parlementaires sont
aussi factices que la messe en latin. On y parle de « catégories
défavorisées », « des légitimes revendications des travailleurs
», de « l'impatience des familles », de « nos vieux et de nos
vieilles », des « catégories socioprofessionnelles durement
frappées par l'évolution technique », toutes formules rituelles
vides de sens. On parle de la France comme on parlerait d'un pays
lointain en regardant des cartes postales.
Pour corriger les insuffisances du
système électif, ne devrait-on pas envisager de désigner le quart
ou le tiers des députés par tirage au sort dans la masse des
électeurs ayant pris part au vote ? Une telle proposition peut
paraître absurde.
Comment des individus pris au hasard
pourraient-ils avoir la compétence nécessaire pour voter des lois ?
Mais ne trouve-t-on pas aux jurés la compétence nécessaire pour
envoyer des accusés à la guillotine ? Et n'est-ce pas autrement
plus grave que de se prononcer sur la loi de finance? Ne voit-on pas
combien l'incompétence pourrait même être bénéfique à la vie
parlementaire ? Les ministres et les leaders politiques ne seraient
jamais certains du résultat d'un vote. Pour obtenir les voix de ces
simples citoyens, il leur faudrait expliquer leurs projets en termes
simples et ordinaires; il leur faudrait convaincre, non pas des
politiciens comme eux, mais « l'homme de la rue ».
Celui-ci, à son tour, aurait beaucoup
de choses à dire aux professionnels. Sur les dizaines de citoyens
anonymes quelques-uns ne manqueraient pas d'exprimer la réalité
vécue par les Français. Qu'un modeste retraité monte une fois à
la tribune pour rappeler ce qu'est la vie de millions de vieux, cela
ferait passer un souffle d'authenticité sur l'hémicycle.
Enfin l'électeur se sentirait
davantage concerné par la campagne et le scrutin s'il savait qu'en
allant voter il peut se retrouver élu. Il n'aurait plus le sentiment
que la procédure électorale est uniquement un choix d'abdication.
L'effet psychologique serait sans doute très heureux. »
François de Closets, Le
bonheur en plus.