Des
initiés d'une société secrète sont parvenus au sommet de l'Etat.
François Hollande est entouré de francs-maçons, dont le plus
médiatisé est incontestablement le ministre voyou Jérôme
Cahuzac.
Réseaux
d'influence, prédateurs financiers, politiciens corrompus... qui
contrôle la France ?
En
fait c’est une hiérarchie invisible et ultra-codée qui structure
désormais la classe dirigeante française. Du producteur Luc Besson
au président de la SNCF Guillaume Pepy, une cohabitation baroque
s’est installée entre des entrepreneurs – très – audacieux et
de hauts fonctionnaires – très – prudents. La grande famille
oligarchique s’est désormais enrichie d’aimables requins de la
finance, comme les patrons des fonds d’investissement. Walter
Butler, à la tête d’un fonds prospère – et inspecteur des
Finances – ou Sébastien Bazin, de Colony Capital – titulaire
d’une maîtrise de gestion, autant dire, pour les arrogants
surdiplômés de l’élite, un « autodidacte » –, sont désormais
entourés d’égards. Ces gens peuvent se joindre, dans les mêmes
dîners, aux représentants des plus grandes dynasties. Celles-ci
ont connu des revers de fortune mais se sont souvent rétablies. «
Le nec plus ultra, aujourd’hui, c’est David de Rothschild, assure
un arbitre des élégances parisiennes. Il y a vingt-cinq ans, ce
profil de banquier d’affaires, avec un nom aussi emblématique,
aurait suscité quelques réserves. Désormais, elles sont
pulvérisées. »
Des
hauts fonctionnaires, quelques grands patrons, des banquiers,
quelques avatars des grandes familles, une dizaine d’avocats
d’affaires, tels Jean-Michel Darrois, Georges Kiejman ou Hervé
Temime, complètent le tableau.
Au
cœur de cette famille, il y a bien sûr cette institution qu’est
l’ENA (l’École nationale d’administration). Dès son élection,
en 2007, le président de la République veut la mettre au pas.
Dans
le gouvernement Fillon, les énarques, au début, ne tiennent pas le
haut de l’affiche. Alain Juppé, inspecteur des Finances, est
ministre d’État chargé de l’Écologie, mais les autres
portefeuilles importants reviennent à des « autodidactes »,
puisque c’est ainsi que les anciens de l’ENA considèrent tous
ceux qui ne sont pas passés dans le moule : Jean-Louis Borloo à
l’Économie, Michèle Alliot-Marie à l’Intérieur, Bernard
Kouchner aux Affaires étrangères, Hervé Morin à la Défense,
Rachida Dati à la Justice.
Après
le premier remaniement, l’ENA est en perdition dans les hautes
sphères gouvernementales : exit Juppé, remplacé par Borloo, qui
laisse les clés de Bercy à l’avocate internationale Christine
Lagarde.
Mais
en novembre 2010, l’énarchie revient en force avec, par ordre
protocolaire : Alain Juppé, de retour comme successeur de Bernard
Kouchner au Quai d’Orsay, Gérard Longuet dans le fauteuil d’Hervé
Morin à la Défense, Nathalie Kosciusko-Morizet à la place de
Jean-Louis Borloo, Claude Guéant au ministère de l’Intérieur,
jusqu’alors occupé par Brice Hortefeux. Seul le garde des Sceaux,
Michel Mercier, cinquième dans la hiérarchie gouvernementale, peut
servir de – pâle – alibi. Et c’est Valérie Pécresse, membre
du Conseil d’État, qui chipe le micro de porte-parole au SDP –
sans diplôme prestigieux – François Baroin.
Un
tout petit monde
Daniel
Lebègue, l’ancien directeur du Trésor qui connaît parfaitement
le système de l’intérieur, dirige la section française de
Transparence internationale, une ONG qui lutte contre la corruption à
travers le monde : « Il y a certes des élites dans tous les pays du
monde. Mais pas comme en France, où il s’agit d’un tout petit
monde très fermé, et dont l’assise résiste à toutes les
mutations. La “pointe du pouvoir” y est beaucoup plus aiguë que
partout ailleurs : mêmes écoles, même origine sociale, même vie,
mêmes clubs, dont le Siècle est l’exemple le plus caricatural,
mêmes lieux de vacances, avec Marrakech en tête de liste. Seule
nouveauté : les meilleurs sont beaucoup plus attirés par l’argent
qu’avant. Alors, ils désertent la haute administration et la
politique. »
Ce
« tout petit monde » prend parfois des allures de cour du
Roi-Soleil qui peuvent surprendre un étranger : « Je suis allé au
mariage de Cécilia et de Richard Attias à New York. Je suis un de
leurs voisins, raconte un financier américain. C’était rigolo, il
y avait plein de femmes seules. J’ai demandé pourquoi à l’une
de mes voisines, qui m’a répondu : “Ben, en fait, beaucoup
d’hommes se
sont défilés. Ils font tous des affaires en France, alors c’est
compliqué pour eux : si Nicolas apprend qu’ils ont assisté au
mariage…” »
Behdad
Alizadeh est l’un des responsables du fonds américain Pardus
Capital, qui a investi, en France, dans Valeo et dans Atos. Ses
débuts dans l’Hexagone n’ont pas été faciles : « Il faut se
battre avec les dents pour se faire accepter dans un univers aussi
fermé. Je me suis fait aider par Alain Minc et par le communicant
Stéphane Fouks. Et j’ai vite compris que lorsque vous êtes admis
dans le club, c’est pour la vie. Aux États-Unis, c’est l’inverse
: chacun est le bienvenu, mais s’il commet une faute, il est
chassé. »
Révolution
culturelle
Tous
ces bouleversements dans la hiérarchie invisible résultent d’un
changement profond : l’argent en quelques années est devenu
dans ce milieu la valeur suprême. Salaires raisonnables, mode de
vie sans ostentation, sujets de conversation à éviter, les règles
étaient jusque-là limpides. Et puis tout a changé. Au fur et à
mesure que l’oligarchie révélait son incapacité à s’occuper
des affaires du pays, elle a manifesté sans complexes sa fascination
pour l’argent.
De
quand date cette mutation qui pèse aujourd’hui sur toute la
société ? De la fin du règne de Giscard ? Des premiers pas de
Mitterrand ? De la première cohabitation avec l’équipe
Chirac-Balladur ? Difficile à dire précisément. Quoi qu’il en
soit, cette ruée vers l’or a transformé le système de
gouvernement en profondeur. Au fur et à mesure que l’État
s’affaiblissait, des réseaux d’influence se sont imposés, des
bandes se sont emparées de territoires entiers.
Le
culte du veau d’or n’est pas, bien sûr, spécifique à la
France. Dans un petit ouvrage savant, Charles-Henri Filippi, autre
inspecteur des Finances, ancien patron d’HSBC France, considère
que l’argent s’est hissé au rang de puissance totale : « Il a
explosé quantitativement ; il est devenu un signe absolu rivalisant
avec le langage ; il est passé du statut de moyen à celui
d’objectif essentiel de la vie des hommes ; il domine le monde réel
et en formate les valeurs. »
En
France, le Tout-État n’a pas pris la peine de résister, ou
d’instaurer un rapport de force. Il s’est laissé coloniser,
acceptant de voir ses hauts fonctionnaires tenter l’aventure du
privé, parfois revenir, et repartir presque toujours. Avec,
éventuellement, un passage qui se révèle un échec. Mais
l’indulgence règne dans ce milieu. Les inspecteurs des Finances
Stéphane Richard et François Pérol incarnent cet art de la
navigation. Le premier, qui fut conseiller de Dominique Strauss-Kahn
au ministère du Commerce extérieur, puis directeur de cabinet de
Jean-Louis Borloo et de Christine Lagarde à Bercy, a, entre-temps,
fait fortune dans l’immobilier. En 2009, il retourne dans le
secteur privé, comme patron de France Télécom. Des élus
socialistes influents comme Manuel Valls, Tony Dreyfus, ou Claude
Bartolone comptent parmi ses intimes. Ils étaient présents lorsque
le futur président de la République lui a remis la Légion
d’honneur en 2006, en présence notamment de… Dominique
Strauss-Kahn. Car les notions de droite et de gauche, parmi les
hauts gradés de l’oligarchie hexagonale, n’ont bien entendu
aucun sens.
Cette
génération de hauts fonctionnaires n’est pas encombrée par les
problèmes déontologiques que posent de tels pantouflages, comme on
appelle, entre initiés, ces passages du public au privé.
François
Pérol (HEC, ENA, inspection des Finances) en est une autre
illustration. Directeur adjoint de cabinet de Francis Mer puis de
Nicolas Sarkozy à Bercy, il part en 2005 chez Rothschild & Cie,
dont il devient associé-gérant. Il conseille notamment le PDG des
Banques populaires dans la création de la banque d’investissement
Natixis, à parité avec les Caisses d’épargne. En 2007, c’est
le grand retour aux affaires publiques, puisque Nicolas Sarkozy
l’appelle à l’Élysée comme secrétaire général adjoint, en
charge des affaires économiques. Il s’occupe notamment, sur fond
de crise financière, du douloureux mariage de raison entre les
Banques populaires et les Caisses d’épargne. Et, début 2009, qui
est choisi pour prendre la tête du nouvel ensemble issu de cette
fusion
? François Pérol en personne. Comme dit souvent le Président :
pourquoi se gêner ?
C’est
cette évolution du système qui a transformé une nomenklatura un
peu frileuse en oligarchie conquérante que la confusion des genres
n’empêche pas de dormir.
L’État
fait bonne figure, mais en coulisse, il est colonisé par des
intérêts particuliers. Véolia veut gagner plus d’argent ? Un
petit décret sur les prix de rachat de l’électricité et tout
s’arrange. Coût pour l’abonné à EDF : un milliard d’euros
par an. La nomination de François Pérol contrevient aux textes sur
le pantouflage ? On tord le bras du président de la commission de
déontologie, un conseiller d’État blanchi sous le harnais, qui
courbe l’échine. Quelques amis du régime ont besoin d’une
petite rallonge pour réaliser leurs projets entrepreneuriaux ? La
Caisse des dépôts, chargée d’investir l’épargne des Français
dans les projets d’intérêt général, est là pour les aider.
Bien obligée.
Les
poissons volants
Certes,
il existe encore des hauts fonctionnaires guidés par le sens du
service public. Comme disait Jean Gabin incarnant Clemenceau dans le
film Le Président, « il y a aussi des poissons volants, mais qui ne
constituent pas la majorité du genre ». Cette poignée
d’irréductibles est un peu la mauvaise conscience de toute une
classe perfusée aux privilèges. Martin Hirsch, lorsqu’il a écrit son
livre sur les conflits d’intérêts, s’est fait beaucoup
d’ennemis. Son collègue du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé,
quand il a rédigé un rapport sur le même sujet, après avoir
occupé de hautes fonctions dans l’administration, a agacé en
haut lieu. Dans la même maison, Didier Tabuteau fait figure de
précurseur dans la moralisation de l’évaluation des médicaments.
Dès le milieu des années quatre-vingt-dix, lorsqu’il dirigeait
l’Agence du médicament, il a exigé que tous les experts dévoilent
leurs liens, directs ou indirects, avec l’industrie pharmaceutique.
Mieux – ou pire, selon le point de vue ! –, il a rendu ces
déclarations publiques. Jean-Paul Faugère, autre conseiller d’État,
directeur de cabinet de François Fillon, a une réputation de haut
fonctionnaire assez rigide, attaché – à
l’excès pour certains – au service de l’intérêt général.
Jean Bassères, à la tête de la comptabilité nationale puis de
l’inspection des Finances audite, lui, l’impact financier des
décisions du gouvernement depuis 15 ans. Xavier Musca, un inspecteur
des Finances devenu secrétaire général de l’Élysée, a refusé
tous les postes rémunérateurs qui lui étaient proposés. Daniel
Lebègue, mais aussi son collègue Augustin de Romanet, ancien
secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Chirac,
aujourd’hui directeur général de la Caisse des dépôts, font
également partie de ces fonctionnaires qui s’obligent à croire
toujours à la grandeur du service de l’État.
Certains
ont même poussé le zèle jusqu’à proposer de baisser leur
rémunération pour tenir compte de la crise. Jean-Pierre Jouyet,
président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a renoncé
à une partie non négligeable de son salaire. Quant à Louis
Gallois, président d’EADS, il a choisi de faire une croix sur le
pont d’or qu’on lui offrait pour prendre ses fonctions. Ils ne
sont pas les seuls, bien entendu, même si les autres occupent
souvent des postes moins exposés…
La
vitrine
Pour
rester au pouvoir, c’est l’ensemble de l’élite – ou
proclamée telle ! – qui devrait inspirer un minimum de confiance.
Et au moins sauver les apparences. Pour faire accepter les
rémunérations délirantes en vogue dans le Cac 40, elle s’est
bruyamment réclamée des règles de gouvernance venues des pays
anglo-saxons, qui n’ont pourtant aucun rapport avec la France. «
Que l’esprit
d’entreprise
soit guidé par le désir d’enrichissement est bien naturel,
explique Jean Peyrelevade, l’homme qui a sauvé le Crédit lyonnais
de la faillite, et qui préside aujourd’hui la banque d’affaires
Leonardo. Mais à une condition : que cet enrichissement soit partagé
avec la collectivité. Comme un petit groupe de gens a confisqué
cette manne à son profit exclusif, il a bien fallu trouver un habillage.
C’est la corporate
governance,
qui institue des comités de rémunération au sein des conseils
d’administration pour fixer les émoluments des dirigeants. Il
s’agit d’une vaste farce, puisque tout le monde tient tout le
monde. Ces comités porteraient mieux leur nom si on les appelait
“comités de corruption”. Mais que voulez-vous ? La nomenklatura
française a bradé la reconnaissance publique, qu’elle n’a
jamais obtenue, contre l’argent facile et abondant. »
Le
pire de ce système pervers ? Il traite de la même façon les
responsables compétents et les vrais incapables. Pourquoi ? Parce
que c’est le meilleur moyen, pour tous, de ne pas avoir un jour à
se remettre en cause.