Tuesday, August 15, 2006

Ermites russes

ERMITES AU CŒUR DE LA TAÏGA


Dans l’immense forêt sibérienne, là où les monts de l’Altaï rejoignent ceux du Saïan, vivait une famille de vieux-croyants qui avait fuit le monde depuis plus de quarante ans.

Les vieux-croyants, les " raskoloniki " s’opposèrent aux réformes religieuses de NIKON le patriarche de Moscou. Ils tenaient à conserver dans son intégrité " l’ancienne foi ", de là le nom de vieux-croyants ou de vieux-ritualistes. Cette crise fit émerger des profondeurs populaires, une mystique libertaire parmi de nombreuses sectes, notamment :

Les " bezpopovtzy ", littéralement : " sans prêtres ", déclaraient l’inutilité du clergé.

Les " nietoutzy " niaient la valeur des sacrements et des rituels.

Les " stranniki ", " pèlerins " refusaient la vie sédentaire. Ils menaient une existence errante, en pèlerins perpétuels.

Les " biégouny " , les " fuyards " prônaient la fuite. Ils rejetaient l’autorité du tsar Pierre-le-Grand, " l’incarnation de l’Antéchrist ", selon eux. Ils abhorraient toutes les lois impériales et cléricales, les papiers d’identité, l’argent, les jeux… Ils décrétaient : " L’amitié avec le siècle est une hostilité contre Dieu. Il faut fuir et se cacher ! "


Fuir et se cacher

" Fuir et se cacher " était la devise de cet érémitisme radical qui durant plus de trois siècles avait poussé les vieux-croyants dans les régions les plus sauvages de l’empire russe. Après une longue errance, un groupe de cette secte s’installa sur l’Abakan, dans une région impénétrable du Saïan. Durant les années 1930, une famille, les LYKOV, rompit avec la communauté pour vivre en anachorète au cœur de la taïga.

Les LYKOV étaient redevenus " les enfants libres de la nature ", si chers à Edward CARPENTER. Cet ancien élève de Cambridge, issu d’une famille aisée, détestait règles et prônait la simplicité de vie. Sa tentative de retour à la nature, après avoir acheté une ferme, se solda par un échec. Il n’avait pas la formidable vitalité des ermites de la taïga.

LA CUEILLETTE SIBERIENNE

Les ermites trouvaient une grande partie de leur nourriture dans la Taïga. " Sans ses fruits, écrit Vassili PESKOV, l’homme ne pourrait pas y vivre longtemps dans l’isolement total. Dès avril les bouleaux donnaient leur sève. On la recueillait dans des seaux d’écorce. S’ils n’avaient pas manqué de vaisselle, les LYKOV en auraient sûrement fabriqué du sirop, par réchauffement. Mais allez poser un seau d’écorce sur le feu… On plaçait le seau dans le torrent, réfrigérateur naturel où la sève se gardait longtemps.

" Après la sève de bouleau, on allait cueillir l’oignon sauvage et l’ortie. De l’ortie on faisait une soupe et l’on séchait des bottes pour l’hiver, utiles à la " robustesse du corps ". L’été venu, on ramassait les champignons (que l’on mangeait cuits au four et bouillis à l’eau), la framboise, la myrtille, l’airelle rouge, le cassis. (…)

" Fin août arrivait le temps des récoltes, reléguant à l’arrière-plan tous les autres soucis. On allait à la cueillette des pommes de cèdre dont les graines faisaient office de " pommes de terre de la taïga ". Les cônes de cèdre les plus bas étaient décrochés à l’aide d’une longue perche de sapin. Mais il fallait toujours grimper à l’arbre pour secouer les plus hauts. Tous les LYKOV – les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes – grimpaient aux cèdres avec aisance. Ils jetaient les pommes dans des cuves creusées, puis les décortiquaient sur des râpes en bois. Ensuite les graines séchaient à l’air. Une fois propres et sélectionnées, elles se conservaient dans les récipients d’écorce, à l’intérieur de l’isba et des garde-manger, protégées contre l’humidité, les ours et les rongeurs. " 

Vasili PESKOV, Ermites dans la Taïga.


" Dans ma longue vie de grand reporter, dit Vassili Peskov - qui a travaillé depuis plus d'un demi-siècle pour le même quotidien moscovite, la Komsomolskaya Pravda -, j'ai pu côtoyer de près des célébrités hors pair qui m'ont beaucoup impressionné. Je pense entre autres au maréchal Joukov, au cosmonaute Youri Gagarine, au savant voyageur Thor Heyerdahl... Mais la personnalité la plus intéressante que j'aie connue, la plus fascinante, la plus attachante aussi, reste à mes yeux celle d'Agafia Lykova. " Née en 1945 dans la forêt sibérienne, Agafia est la dernière survivante de la famille Lykov, retirée depuis 1928 dans la taïga pour une incroyable robinsonnade d'un demi-siècle, puis " découverte " en 1978 par un groupe de géologues. Vassili Peskov révéla l'aventure dans le livre "Ermites dans la taïga", qui s'achevait sur le désir d'Agafia de continuer à vivre solitaire et en autarcie. De nombreux lecteurs se sont interrogés sur le destin de cette femme courageuse qui avait choisi de ne pas revenir à la civilisation. 

Dans Des nouvelles d'Agafia de Vasili PESKOV, basé sur des voyages effectués de 1992 à 2008, on voit l'héroïne malgré elle évoluer au fil des ans. Tandis que l'amitié perdure avec Erofeï, de nouveaux candidats à la vie érémitique clans des conditions primitives et difficiles rejoignent Agafia, dont Sergeï artiste peintre, et l'étonnante Nadia, venue elle aussi se perdre au fin fond de la Sibérie.