par Evelyne Vuillermoz
Après le printemps
arabe, il y a eu le
mouvement
Occupy Wall Street
et
le printemps arable des étudiants
canadiens en colère (en 2012). Cette année, la jeunesse turque et brésilienne se révolte. De nouvelles valeurs pour une
véritable démocratie vont-elles émerger ?
Ainsi, les gouvernements en
place, de même que les institutions politiques internationales sont
invités expressément à comprendre le sens du refus signifié par
les réseaux sociaux et les émeutes soutenues par la jeunesse à
travers le monde. Ce refus exprime celui d'un ordre global. Lorsque
la représentativité est questionnée par les citoyens, commence
alors le sens véritable de la démocratie, d'une façon plus
radicale. Car la confiance en soi, celle que possède chaque être
humain de façon naturelle et inaliénable, et sur laquelle se
fondent les droits de l'Homme, revendique ici le droit de retirer sa
voix à la société et de pratiquer la désobéissance civile. La
pensée démocratique s'inscrit ici dans une radicalité politique
telle que le philosophe américain Emerson l'a définie en son temps,
dont la pertinence est d'actualité.
Il s'agit bien, en effet, de
refuser le conformisme ambiant lorsque celui-ci rend les relations
fausses, contraires à l'intérêt public. C'est alors que chacun est
placé devant ses responsabilités. À travers ce questionnement,
l'individu interroge la relation qu'il entretient avec le monde, dans
l'ordre de chaque expérience vécue de façon authentique. Celle-ci
doit être le lieu d'apprentissage de la confiance en soi, de
l'autonomie de l'individu ainsi que de ses droits et de ses devoirs.
Seule l'expérience pleinement humaine permet à chacun de trouver sa
place au sein de la communauté, de prétendre au respect de ses
droits fondamentaux. C'est en cela qu'il peut donner un sens à sa
voix de façon légitime, dans l'ordinaire d'une vie pleinement
vécue, de façon digne et non pas seulement subie. Les conditions de
l'existence elle-même permettent un apprentissage constant sur soi
ainsi que celui de l'expression et du langage au sein de la
communauté. Dans la réflexion sur soi, il est alors permis de
comprendre la relation du « je » au « nous ». Par là même,
cette connaissance de soi est une condition du politique. Le débat
serait donc ouvert, vers la création d'un nouveau modèle de
développement individuel et social condition du politique, marquant
le constat d'échec d'une démocratie livrée à des ego incontrôlés
dont l'avidité n'est que le reflet narcissique profondément
pathologique.
Ainsi, la liberté s'apprend
de même que « vivre ensemble ». L'éducation doit alors
permettre l'apprentissage des valeurs de la démocratie. Face aux
contraintes de la société actuelle, le rôle de l'éducation est
essentiel. La violence n'est pas une fatalité, ni l'agressivité.
Nos enfants doivent apprendre à intégrer le sens profond de leurs
émotions afin de structurer le sens de leurs expériences,
d'optimiser leur compréhension et de développer leurs aptitudes
cognitives.
Pierre Merle, sociologue,
nous conviait il y a quelques années, à une réflexion pour en
établir les fondements, qui ne peuvent résulter que d'une
conception pragmatique de l'école au sein de laquelle l'enfant a non
seulement des devoirs mais aussi des droits.
« Comment penser que
les modifications actuelles de l'action politique-participation
électorale traditionnelle versus contestations collectives et
violences urbaines ne sont pas l'expression d'une transformation
sensible du rapport à la politique que la place actuelle de l'école
dans la socialisation des jeunes générations n'a guère enrayé et
au pire favorisé ? N'est-il pas temps d'attribuer plus de crédit à
l'analyse de Tocqueville et à la place qu'il accordait à la
participation aux affaires locales : Comment faire supporter la
liberté dans les grandes choses à une multitude qui n 'a pas appris
à s'en servir dans les petites? Si l'on prend au sérieux
l'aphorisme de Durkheim selon lequel « la classe est une petite
société », l'école actuelle, en négligeant la question des
droits des élèves, ne propose pas un apprentissage stimulant des
règles de la démocratie. » (Pierre Merle, « L'élève
humilié. L'école, un espace de non-droit ».)
La liberté et la démocratie
s'apprennent aussi dans le respect de la valeur de la vie. Le
gouvernement japonais estimait le 24 juin 2011 les dommages directs
du tsunami du 11 mars 2011 : pas moins de cent quarante-sept
milliards d'euros. Des milliards d'euros peuvent-ils rendre compte de
vies achevées, des souffrances endurées ? De tous ces liens
arrachés, des pleurs des enfants, de la nature bafouée, des rythmes
de la vie quotidienne à jamais perturbés et effacés du jour au
lendemain ? Où sont les cerisiers en fleurs ? Combien valent-ils ?
Il est temps de changer notre regard, de regarder la valeur réelle
de la vie sans faire référence à celle de l'argent. Car la vie a
une valeur qui ne peut être chiffrée, ni quantifiée. Les liens
vécus ne peuvent être convertis en euros ni en dollars, ni en yens.
Comment peut-on évaluer le parfum de la terre ou celui des fleurs ?
Changer de regard, consiste à changer son rapport avec le monde, les
autres et avec soi.
Le sens du bonheur peut
s'apprendre, mais il reste surtout à inventer. Il est ici nécessaire
de nous interroger sur la signification réelle de la créativité au
sein de nos cultures à travers le monde, mais aussi sur la nécessité
de la liberté d'expression. Car les pratiques signifiantes d'une
société ne sont pas uniquement celles contenues dans les normes
établies. En ce sens, la culture dominante peut apparaître comme
une culture morte lorsque la signification des symboles qu'elle
contient cesse d'être partagée par les individus qui la composent.
La chute des symboles manifeste par conséquent la caducité d'une
culture, de son ordre, de sa potentialité projective pour construire
le futur. La vie ou sa régénération ne peut alors provenir que des
mouvements informels souvent rejetés à la périphérie culturelle
et politique. La marginalité des mouvements sociaux situés en
bordure et qui revendiquent un nouvel ordre social, traduit bien une
dynamique en perpétuel mouvement dont le point d'équilibre est
toujours à établir. Ainsi, le sens du discours à actualiser
appartient toujours aux courants informels, ceux portés par
l'innovation, par les révolutions, les émeutes, les dissidences, le
malaise existentiel individuel, qui incarnent des situations de
rupture. C'est dans la mise à distance par rapport à un ordre
formel devenu caduc, qu'est créée la possibilité du changement et
son mouvement. Cette mise à distance est constitutive d'une
dialectique au sein de laquelle s'établit la critique d'un système
à la recherche d'un nouvel équilibre vital.