Le doyen de la
théorie américaine de la conspiration était Milton William Cooper, de
St. Johns, Arizona ; il est l'auteur d'un compendium pour le mouvement
millénariste et conspirationniste, Behold a Pale Horse (1991).
Fils
d'un officier de l'armée de l'air, Bill Cooper est né en 1943 ; il
a grandi dans différents pays, selon les affectations de son père.
Après avoir quitté le lycée au Japon en 1961, il s'engagea dans
l'Air force, puis la Navy en 1965. Alors qu'il servait à bord d'un
sous-marin dans le Pacifique, Cooper aperçut pour la première fois
une énorme soucoupe volante qui émergea de l'océan et s'envola
dans les nuages. La soucoupe fut aperçue par d'autres membres
d'équipage et par des officiers, mais seul Cooper fut menacé de
prison s'il dévoilait ce qu'il avait vu. A partir de 1968, il fut
affecté à l'espionnage naval. C'est là qu'il découvrit
l'existence d'une conspiration d'un haut niveau dirigée contre les
citoyens des États-Unis. Il était convaincu que l'espionnage naval
avait participé à l'assassinat de John F. Kennedy, et en 1972, il
avait amassé des informations dérangeantes classées secrètes sur
les OVNIs, la Navy, le gouvernement secret, l'ère glaciaire à
venir, le projet Galileo, et la stratégie pour l'établissement d'un
Nouvel ordre mondial.
Bill
Cooper quitta l'armée en 1975 et tenta alors de transmettre ce genre
d'informations à la presse. Il affirme que les puissances cachées
étaient prêtes à le supprimer. En Californie, une limousine noire
poussa sa voiture vers une falaise, puis deux hommes descendirent
jusqu'à la carcasse du véhicule. L'un d'eux se pencha pour vérifier
son pouls, et l'autre demanda s'il était mort. Le premier répondit
que ce n'était plus qu'une question de minute, et l'autre répondit
que le boulot était fait. Un mois plus tard, la même voiture
mystérieuse provoqua un nouvel accident. Cette fois-ci, Cooper
perdit une jambe. Deux hommes lui rendirent visite à l'hôpital, le
menaçant d'un accident fatal s'il persistait à vouloir divulguer
des informations secrètes. Ces rencontres presque fatales,
s'ajoutant à la découverte d'actions secrètes de la part des
militaires et du gouvernement, convainquirent définitivement Cooper
de la réalité d'une conspiration mondiale. Tout en continuant à
collecter des
documents,
il restait résolu à dévoiler la vérité de ces plans visant à
soumettre l'humanité au Nouvel ordre mondial. C'est ainsi qu'il
publia son livre, qu'il décrivait comme « plus proche de la vérité
que tout ce qui a été précédemment écrit. »
Behold
a Pale Horse est un amas chaotique de mythes de la
conspiration, parsemé d'extraits de lois, de lettres officielles, de
rapports et de documents visant à dévoiler la sombre perspective
d'un gouvernement mondial imposé au peuple américain contre sa
volonté et en conflit flagrant avec la Constitution.
Le
premier chapitre contient un mémorandum gouvernemental soi-disant
secret titré « Armes silencieuses pour guerres tranquilles ».
Découvert dans une photocopieuse IBM lors dune vente aux enchères
en juillet 1986, ce document est devenu très célèbre dans les
milieux conspirationnistes. Nous y apprenons que l'élite a décidé
en 1954 d'exploiter les opérations de recherche, la technologie
informatique et la finance pour modeler une société entièrement
prévisible et manipulable, dans le but de transférer la richesse
des masses indisciplinées et irresponsables vers un petit nombre de
gens valeureux et intelligents. L'éducation garderait les masses
inférieures indisciplinées et ignorantes, tandis que les sujets
triviaux traités par les médias et les divertissements vulgaires se
chargeraient de les maintenir dans la confusion, la désorganisation
et la distraction. Le document est rédigé dans un jargon technique
qui mêle ingénierie sociale, économique et électronique, pour
suggérer que tous les individus d'une société peuvent être
programmés, car « ceux qui ne se servent pas de leur
intelligence ne valent pas mieux que des animaux dépourvus
d'intelligence. De tels individus sont comme des bêtes de
somme... »
Cooper
voit dans ce document une déclaration de guerre formelle des
Illuminati contre les citoyens des États-Unis. Il affirme que les
citoyens pacifiques sont en droit d'user de tous les moyens, y
compris la violence, pour identifier, contre-attaquer et détruire
l'ennemi. Le deuxième chapitre, « Sociétés secrètes et
Nouvel ordre mondial », contient les investigations et les
réflexions de Cooper sur le complot mondial contre l'indépendance
et la liberté. Les racines de la conspiration des Illuminati
remontent à l'ancienne Confrérie du Serpent, et donc incluent les
Templiers et les francs-maçons. Cooper croit que la plupart des
sociétés secrètes modernes n'en forment en fait qu'une seule,
dotée d'un but unique. Leur apparente pluralité masque la
conspiration visant à soumettre l'humanité :
« L'Ordre
de la quête, la Société de JASON, la Roshaniya, la Qabbalah, les
Templiers, les
Chevaliers de Malte, les
Chevaliers de Colomb, les jésuites, les maçons, l'ordre
mystique de la rose-croix, les Illuminati, le parti nazi, le parti
communiste, les membres du Conseil des relations extérieures, la
Fraternité du Dragon, l'Institut royal des affaires internationales,
la Commission trilatérale,
le groupe Bilderberg, le Vatican, le Russell Trust, Skull &
Bones, Scroll & Key [société secrète
des universités de
Yale et Harvard]. Toutes ces organisations ne forment qu'une seule
entité et travaillent dans le même but : le Nouvel ordre mondial. »
(Milton William Cooper)
L'analyse
obsessionnelle que produit Cooper sur ces groupes à la fois
imaginaires et réels, accumule les détails visant à suggérer le
pouvoir terrifiant des élites mondiales. Cependant, selon lui,
l'organisation secrète la plus puissante au monde est le groupe
Bilderberg, dont les trois comités comprennent des membres des
Illuminati, de la franc-maçonnerie, du Vatican et des vieilles
familles aristocratiques européennes : « Ce sont eux qui dirigent
VRAIMENT le monde », affirme Cooper.
Cooper
décèle des preuves de l'influence cabalistique des Illuminati dans
la fondation des États-Unis. L'œil omniscient dans la pyramide
représente Lucifer et est également l'ancien symbole de la
Confrérie du Serpent. Il souligne la répétition du chiffre 13, qui
se retrouve dans les 3 comités de 13 membres du groupe Bilderberg,
ce qui, pour lui, prouve sans aucun doute l'influence des
Illuminatis.
Pour
Cooper, les pouvoirs présidentiels utilisés abusivement sont une
preuve supplémentaire des plans du gouvernement américain pour
imposer un socialisme totalitaire. Par le biais de « lois secrètes
» cachées au public, le président (à l'époque, Georges Bush) a
le pouvoir de lancer des actions secrètes, de déclarer la guerre,
de combattre le terrorisme et de suspendre la Constitution en cas
d'urgence, sans en référer au Congrès. Cooper s'étend sur
l'Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA), qui en cas
d'urgence est autorisée à contrôler les médias, la nourriture,
l'énergie et les transports, tout en mobilisant chaque citoyen au
sein de brigades commandées par le gouvernement. William R. Pabst,
de Houston, fournit des détails sur les emplacements d'une douzaine
de camps de concentration construits pour la détention de
prisonniers politiques. « Lorsque votre famille sera séparée
et éclatée dans tous les États-Unis pour effectuer un travail
d'esclave et que vous ne verrez plus jamais ceux que vous aimez ; ce
sera votre faute, parce que vous n'aurez rien fait pour empêcher
cela. » (Cooper)
L'élite
dirigeante croit que seul un gouvernement secret et totalitaire peut
résoudre les problèmes actuels. Apparemment, leur principal souci
est la surpopulation. Pour contrôler la croissance de la population,
le gouvernement américain mène une guerre contre ses propres
citoyens, avec l'introduction de maladies, de substances chimiques et
radioactives dangereuses. L'élite dirigeante vise les éléments les
plus indésirables de la société, dont les Noirs, les Hispaniques
et les homosexuels. La variole fut introduite en Afrique pour décimer
la population noire. L'hépatite B a été répandue en Amérique
pour infecter la population. Le virus du sida est une arme du
gouvernement. Des déchets nucléaires sont répandus sur les champs
de tabac pour provoquer le cancer du poumon. la dioxine et d'autres
polluants prolifèrent malgré les dénis officiels. Une installation
fédérale secrète connue sous le nom de Mount Weather, près de
Bluemont, Virginie, est décrite comme une ville souterraine
construite pour le gouvernement de l'ombre qui attend d'avoir le
pouvoir, sera prêt à réagir en cas de crise. Les patriotes, les
nationalistes et les groupes de droite sont les premières cibles de
leurs mesures répressives.
Les
OVNIs et les extraterrestres jouent un rôle apocalyptique dans le
culte de la conspiration de William Cooper. Des vaisseaux
extraterrestres sont censés avoir visité les États-Unis entre 1947
et la fin de l'année 1952. Des débris d'OVNIs crashés des
extraterrestres morts et vivants découverts à Roswell, dans le
Nouveau-Mexique' ont été étudiés par des scientifiques sous les
auspices de la CIA tandis
que des fausses informations et des rumeurs maintenaient le public
dans l'ignorance. Cooper semble croire que les humanoïdes
extraterrestres sont venus sur Terre pour prélever le matériel
génétique qui fait défaut à leur espèce en déclin. Le président
Eisenhower est censé avoir officiellement rencontré les
extraterrestres en février 1954, et un traité fut signé entre eux
et le
gouvernement américain : en échange de leur technologie avancée,
les extraterrestres ont obtenu la permission d'étudier un nombre
limité d'humains dans le cadre de leur projet génétique. Toutes
les relations avec les extraterrestres sont soumises au comité connu
sous le nom de MAJESTIC-12.
D'immenses
pistes d'atterrissage pour les extraterrestres ont été construites
à Dreamland, ou Area 51, près de Rachel, dans le désert du Nevada.
Depuis, Area 51 est devenu un lieu de rendez-vous pour les ufologues
et les tenants de la théorie de la conspiration. Anthony Hilder a
enregistré une cassette audio, The Panic Project, au sujet
des OVNIs stationnés sur la base de Dreamland. L'élite
dirigeante s'est alliée en secret avec
les extraterrestres contre le reste de l'humanité.
Le
millénarisme de Bill Cooper est quasiment littéral. En l'an 2000,
des mesures gouvernementales secrète à l'encontre du peuple
devaient déboucher sur des hostilités ouvertes. Au même moment, la
présence des OVNIs et des extraterrestres devait être
officiellement révélée. Un vaisseau spatial appelé Galileo, en
route pour Jupiter, allait déposer une charge de plutonium au cœur
de la planète géante, générant une réaction atomique et la
naissance d'une nouvelle étoile, qui doit être nommée Lucifer. Un
vaste programme de manipulation médiatique interprétera ce
phénomène comme un signe d'une grande portée religieuse et le
monde entier espérera l'accomplissement de l'ancienne prophétie.
Alors, un caveau contenant les anciennes données de la Terre sera
ouvert dans la grande pyramide de Khéops, en Egypte, où George Bush
assistera à une célébration occulte du millénaire et à la
proclamation du Nouvel ordre mondial.
Bill
Cooper est habité par un esprit anarcho-libertaire de rébellion.
contre le gouvernement, qu'il perçoit comme anticonstitutionnel,
criminel et despotique. Il en va de même pour Anthony H. Hilder,
Linda Thompson et de nombreux autres porte-parole de groupes
conspirationnistes américains. Étant donné que ces groupes
identifient souvent le national-socialisme allemand comme le
précurseur du Nouvel ordre mondial, on peut se demander le rapport
qu'ils entretiennent avec le nazisme ésotérique. La réponse se
trouve dans leur obsession du secret et de la conspiration. En
déclarant la guerre aux élites dirigeantes secrètes qui
asservissent les populations innocentes, les théoriciens de la
conspiration font une projection fatale. L'élite est considérée
comme totalitaire, antidémocratique,
méprisante envers le peuple. Les victimes ont donc le droit de
combattre et de détruire l'élite par tous les moyens nécessaires.
Les actions secrètes, la violence, le terrorisme - tous les moyens
que l'élite est accusée d'utiliser - sont bons pour que le peuple
retrouve son autonomie perdue.
Les
parallèles psychologiques entre les conspirationnistes américains
et le système de pensée nazi sont évidents lorsqu'on se rend
compte que la réimpression complète des Protocoles des Sages de
Sion forme les 15 premiers chapitres de Behold a Pale Horse.
Le texte provient de la première édition anglaise, traduite par
Victor E. Marsden, publiée en 1921 par la Britons Publishing
Society, un groupe notoirement antisémite. Bien que Cooper cite
Mayer Amschel Rothschild (1743-1812) disant : « Donnez-moi le
contrôle de la monnaie d'un pays, et peu m'importera qui en
dicte les lois », il n'attribue pas exclusivement les Protocoles
à une conspiration mondiale juive. Il suggère que toute
allusion aux « juifs » en tant que conspirateurs doit être
remplacée par le mot « Illuminati » tandis que les mots«
goyim »et « gentils » doivent être remplacés par «
prisonniers ».
Malgré
une prose datant de la fin du XIXe siècle les Protocoles
illustrent les craintes et l'anxiété des conspirationnistes
au sujet d'un gouvernement secret et du Nouvel
ordre mondial. Les juifs (Illuminati) créent des désordres et
de l'hostilité entre États pour augmenter leur endettement et
provoquer des guerres (Protocole 7) ; d'où des guerres mineures
constantes depuis 1945. Les juifs (Illuminati) sèment la confusion
dans l'opinion publique grâce à la contradiction (Protocole 5). Les
juifs (Illuminati), avec la distraction, les jeux, le divertissement,
détournent les masses de leurs vrais objectifs (Protocole 13). Ces
stratégies sont reflétées dans la politique artificielle et le
consumérisme futile. Les juifs (Illuminati) vont désigner un
dirigeant fantoche qui aura le droit
de
proposer des lois d'urgence, de modifier la Constitution et de
déclarer l'état de guerre (Protocole 10). D'où la mobilisation et
les directives de la FEMA pour établir un État policier. Les juifs
(Illuminati) vont créer un gouvernement fortement centralisé pour
contrôler toute l'humanité (Protocole 15). En découlera le Nouvel
ordre mondial.
Les
théories de la conspiration s'épanouissent toujours à des époques
où les gens se sentent exclus du processus politique. Ces nouvelles
croyances conspirationnistes américaines ont vite trouvé un écho
en Europe, alors que l'Union européenne se développait dans les
années 1990. Le mouvement « alternatif » en particulier, avec
sa suspicion envers un gouvernement puissant, les milieux des
affaires et la médecine orthodoxe, s'est montré sensible aux
théories de la conspiration.
Nicholas
Goodrick-Clarke, « Soleil noir ».