Sunday, September 14, 2014

Le plein emploi

Auteur de La Maison autonome (co-éditions Le Souffle d'Or et L'Orée du Bois). Patrick Baronnet donne des conférences sur le thème « Énergies alternatives et mode de vie » auprès des scolaires, universitaires, associations et collectivité. Fondateur de l'association HEOL qui a pour but l'éducation à l'« éco-citoyenneté ». Créateur du célèbre Éco Festival de Moisdon la Rivière (44) et d'un « éco-centre ».

Que pensez-vous de l'équation : « Politique Ecologique = Plein Emploi » ? Vous paraît-elle applicable ? Quels sont ses atouts et ses freins ?

Patrick Baronnet : La réponse au problème de l'emploi n'est pas systématiquement dans la création d'emplois. Il s'agit fondamentalement de permettre à tout individu de vivre le mieux possible et le devoir de tout gouvernement est de créer les conditions nécessaires (et non suffisantes) pour permettre à chacun de vivre selon son itinéraire de vie. La confusion historique contemporaine est cet amalgame entre emploi et moyens de vivre.

Aujourd'hui, avoir les moyens, c'est avoir de « l'argent », mais il n'en a pas toujours été ainsi. Dans l'histoire de l'humanité, ce n'est que très récemment que l'on a commencé à créer des emplois, et encore plus récemment que l'emploi (ou subside) soit totalement lié à la survie. Plus grave encore, certaines personnes sont lourdement endettées bien qu'elles aient un emploi !

On peut imaginer une personne vivant sans argent, mais puisant son nécessaire vital dans les ressources naturelles : eau, nourriture, habitat, et son nécessaire relationnel dans une communauté conviviale. À ce sujet, notre fils Gwénaël vit heureux dans une yourte (tente démontable, à armature extensible de bois, d'origine turque ou mongole d'Asie centrale) avec peu de moyens « financiers » et dans une communauté rurale d'une grande richesse culturelle.

La grande innovation serait, pour un gouvernement, de donner la possibilité aux indigents, aux personnes à vocation rurale, ou qui souhaitent vivre dans la sobriété heureuse, ou lassées de « perdre leur vie à la gagner », les moyens autres que financiers, de s'assurer un soutien matériel, décent sans passer par un « salaire » lié à un emploi.

Il ne s'agit pas de passer d'un extrême à l'autre, mais d'amorcer une dynamique qui favorise ce choix de vie qui, par le simple fait d'exister, peut libérer des emplois sans les. créer. Pourquoi ?

Parce qu'en divisant par deux nos besoins financiers, (un seul demi-salaire à six pendant quinze ans) nous avons libéré de quoi faire vivre une autre famille. Ajoutons, que cette manière de vivre dans le monde rural à partir des ressources locales amorce une dynamique d'exode urbain, qu'il faut envisager de manière urgente pour harmoniser un nouveau mode de vie qui doit contribuer à pourvoir une majorité de besoins de première nécessité dans une proximité de quelques kilomètres. Nous sommes aujourd'hui tellement conditionnés par le mode vie urbain, que nous avons peine à imaginer cette nouvelle façon de vivre. En effet, elle n'est surtout pas ce « vivre à la campagne comme un citadin » qui est la pire des solutions au niveau de l'empreinte écologique, encore moins une quelconque nostalgie du passé. Ce nouveau mode de vie, qui reste à inventer, est une aventure que bon nombre sont prêts à tenter. Il est fondé sur le volontariat, qui est une solution en profondeur au problème du chômage, au problème écologique et à celui des transports. C'est une contribution sociale majeure, car elle est une solution à l'univers des concentrations urbaines dépendantes, vulnérables, où la promiscuité et l'absence de nature et de silence engendrent le profond malaise que l'on connaît.

C'est une proposition exigeante, mais passionnante, qui pose le problème d'une nouvelle civilisation postindustrielle fondée sur la vocation profonde de l'homme, et non sur des principes économiques obsolètes.

Elle relativise la « croissance économique » pour recadrer l'épanouissement humain dans une perspective où le bonheur n'est pas indexé aux biens matériels, mais à des valeurs de l'ordre du cœur, de la solidarité, de la coopération et du travail sur soi-même pour vivre pour grandir et non consommer à tout prix.

Entre ce cas de figure et celui qui concerne pratiquement tout le monde aujourd'hui, du moins dans les pays dits « développés », il y a une infinité de déclinaisons.

Il est désormais fondamental, pour la clarté pédagogique, de différencier, d'une part, la clarté d'une nouvelle vision sociale et, d'autre part, la tolérance et l'intelligence pratique des moyens pour y arriver.

Transférer plutôt que créer des emplois : toute création d'emplois entraîne indirectement, y compris pour le tertiaire, une augmentation de la consommation, donc de la croissance, de la production, de la pollution et de l'épuisement de la planète. Ceci dans l'état actuel du fonctionnement économique. Il y a des alternatives :

- Substituer sur une base de volontariat la notion d'autoproduction à la notion de rémunération financière en aménageant les conditions d'acquisition d'une surface de terre à définir pour assurer le bâti de maisons. Ou mieux, d'îlots collectifs en partie auto construite avec des matériaux sans pétrole, comme nous l'avons réalisée dans la « Maison 3 E » confortable, bioclimatique avec solaire passif ; ce qui constitue en soi une éducation fondamentale et une réhabilitation du travail manuel tout en assurant une partie de sa subsistance alimentaire.

- Modifier progressivement son alimentation en vue d'une meilleure santé et d'une production issue d'un jardin (ou de jardins collectifs), productif et biologique, est une des urgences majeures et impératives qui ouvrent la voie vers un mode de vie qui préserve l'espèce humaine et le Vivant.

- Substituer de manière coordonnée et progressive les emplois producteurs de « biens », définis par un comité de sages comme étant utiles, écologiques, économiques et durables, aux productions inutiles, nuisibles et éphémères.

Dans le domaine des énergies, l'éolien et le photovoltaïque peuvent créer 1 million d'emplois en Europe.

Dans le domaine agricole, une réforme agraire pourrait compenser l'énorme perte d'emplois issus de l'exode rural qui n'a cessé de croître depuis l'après guerre ; de telle sorte que bon nombre de jeunes, éduqués au respect de la terre ainsi qu'à d'autres pratiques agricoles, réhabilitent le tissu rural en inventant une autre ruralité déjà initiée par les néo-ruraux courageux, inventifs et hautement responsables.

Le retour à la campagne doit se faire dans la démarche d'une vision profonde et globale de la société en harmonisant le binôme : ville-campagne.

Il ne s'agit ni d'une campagne résidentielle, qui serait écologiquement pire que la ville, ni d'une campagne refuge, pour fuir les réalités, ni d'une campagne uniquement agricole, ni — encore moins — de transférer les usines à la campagne, mais d'instaurer une campagne multifonctions où l'on produit, consomme, cultive, éduque sur place. Bref, d'inventer une nouvelle culture qui, sans nier l'histoire, aurait pour valeur essentielle le respect de la vie.

Quelles seraient les mesures et/ou lois à mettre en place par une « bonne » politique écologique ?

Patrick Baronnet : Je pense que l'aménagement du territoire est la clef de la résolution du problème de l'emploi. Il s'agit de s'orienter vers la satisfaction de l'essentiel des besoins primaires dans une proximité telle que les transports puissent se réduire pour une bonne part à la marche à pied ou à la bicyclette, sans exclure les transports en commun.

Précisons que la grande ville, quels que soient les modes de transports individuels et les efforts louables de bon nombre de citadins piétons, nécessite des transports insoupçonnés pour acheminer les marchandises des lieux de productions distants parfois de milliers de kilomètres.

Dans votre champ d'expérience, quelles seraient les mesures ou/et lois que vous aimeriez voir voter ?

Patrick Baronnet :
- Libérer des terres pour tous ceux qui souhaitent vivre la sobriété heureuse.
- Rénover en profondeur les permis de construire.
- Autoriser et encourager les techniques d'épurations naturelles pour les maisons individuelles. Encourager les maires novateurs pour des lotissements écologiques.

Interview réalisé par Jean Marc Governatori (Politique écologique = plein emploi)

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